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lundi 14 novembre 2016

La candidature du Professeur Abdoulaye Bathily



BABACAR JUSTIN NDIAYE « La candidature du Professeur Abdoulaye Bathily se heurtera aux tirs de barrage d’Alger, de Nouakchott et de Pretoria »
Quelles sont les chances et les faiblesses de la candidature du Professeur Abdoulaye Bathily ?

A mon avis, les forces du candidat Abdoulaye Bathily contrebalancent les faiblesses. A côté des chances, des forces et des faiblesses, je recense des atouts et des handicaps. Abdoulaye  Bathily n’est pas un diplomate de carrière à l’image de l’Ivoirien Amara Essy ou du Sénégalais Seydina Oumar Sy. Il est un historien, professeur des Universités, homme politique chevronné devenu diplomate sur le tard, donc un homme adossé à une somme d’expériences variées et précieuses pour des responsabilités aussi élevées et lourdes que les destinées de l’Union Africaine(UA). Aimé Césaire a dit et écrit : « La voie la plus courte vers l’avenir, est celle qui passe par l’approfondissement du passé ». Vous voyez donc que l’Historien ne manque pas de viatique. Par ailleurs, si Abdoulaye Bathily passe, il sera le second historien à la tête de l’UA, après l’archéologue malien Alpha Oumar Konaré. L’autre atout est, bien sûr, l’appareil diplomatique que le Sénégal mobilise fortement en faveur de la candidature de l’ex-Représentant spécial de l’ONU, en Afrique centrale. Cela dit, il s’agit d’une élection dans laquelle se manifestent plus de cinquante Etats souverains qui ont des intérêts distincts, indissociables des sous-régions auxquelles ils appartiennent, et des influences extérieures qu’ils subissent. Y compris des influences sonnantes et trébuchantes. L’épisode de l’entrée –  avec son lot d’accusations et de polémiques – de la République Arabe Saharaouie Démocratique (RASD) dans l’OUA, du temps du Togolais Edem Kodjo, reste encore vivace dans les mémoires. 
Qu’est-ce que la victoire de notre compatriote Abdoulaye Bathily peut apporter au Sénégal ?
Une fierté évidente et un supplément de reflet pour l’image du Sénégal. Donc de rayonnement. Même si sa mission est primordialement et exclusivement africaine. Il sera au service de l’Afrique. Sans aucune restriction. Une confiance continentale qu’il ne doit jamais trahir.

N’existe-il pas une coïncidence entre l’agenda du Maroc qui aspire légitimement à intégrer l’UA – après avoir quitté l’OUA –  et la candidature du Professeur Abdoulaye Bathily à la présidence de l’instance continentale ? 

Il y a fâcheusement un télescopage entre l’agenda du Roi et la candidature de Bathily. Il va sans dire que la nervosité conjointe de l’Algérie et de la Mauritanie – provoquée par la « marocophilie » voire la « marocofolie »  débordante du Sénégal –  irriguera le vote des deux pays. Et se dressera comme un barrage, parmi d’autres, contre le candidat du Sénégal. C’est d’autant plus sérieux que l’Algérie fait partie des locomotives diplomatiques du continent, aux côtés notamment de l’Afrique du Sud qui est un supporter inconditionnel du Polisario et de la RASD. Deux pays capables et doués pour le lobbying. Il s’y ajoute que le Commissaire de l’UA en charge de la Paix et de la Sécurité, c’est-à-dire le numéro deux, est toujours de nationalité algérienne. D’où une perspective de cohabitation ou de collaboration difficile avec Bathily. Certes, il n’ ya pas de droit de veto à l’Union Africaine, mais il y a des pays qui ont du poids réel. En un mot, la candidature du Professeur Abdoulaye Bathily se heurtera aux tirs de barrage d’Alger, de Nouakchott et de Pretoria qui considèrent le Sénégal, comme le cheval de Troie du Maroc sur le continent. 

A la lumière de vos remarques, est-ce que la campagne ou l’offensive diplomatique déclenchée par le Président Macky Sall, avec des ministres dépêchés auprès de quelques chefs d’Etat du continent, donnera les résultats escomptés ?  

« Laissons l’avenir venir » chantait Tino Rossi. Je ne sais pas. En revanche, je suis sûr que certaines capitales tomberont dans l’escarcelle du Sénégal. Je pense à Brazzaville où l’émissaire Sidiki Kaba dispose de solides amitiés. Libreville est également un fruit mûr, car Ali Bongo est sensible à l’attitude de non-ingérence du Sénégal, durant et dans la crise postélectorale. Toutefois, dans ce genre de compétition, on peut et on doit, aussi, mobiliser des gens situés hors des arcanes officielles. Par exemple, le Président Abdou Diouf avait glissé l’architecte Pierre Goudiaby Atépa dans la délégation qui avait lutté et porté notre compatriote Babacar Ndiaye, à la tête de la Banque Africaine de Développement (BAD). C’était justement à Brazzaville. Aujourd’hui, le casse-tête, ce sont les contrecoups ou les retours de flammes diplomatiques du discours du Roi Mohamed VI sur la « Marche Verte », prononcé étonnamment à Dakar, qui frapperont de plein fouet, la candidature du Professeur Abdoulaye Bathily. Enfin, je recense un semi-handicap que voici : si le candidat Bathily est élu, il sera le troisième Président  de la Commission Africaine, en provenance d’Afrique de l’Ouest après le Malien Konaré. Comparativement aux autres parties de l’Afrique qui n’en ont pas encore élu. Sauf si l’on considère que l’Ivoirien Amara Essy assurait strictement la transition de l’OUA vers l’UA.       

Le Sénégal préside, cette année, le Conseil de sécurité de l’ONU. Qu’est-ce qu’il y gagne ?

Beaucoup. Il est toujours bon et responsable pour un pays d’être aux avant-postes de la vie internationale. La présidence du Conseil de sécurité ne vaut pas un veto, mais c’est un levier que le Sénégal peut actionner judicieusement au profit de l’Afrique et des pays du Sud. Et une bonne contribution du Sénégal à la marche du monde, figurera évidemment dans les annales de l’Histoire diplomatique du monde, avec les noms des acteurs actuels comme le Président de la république, le ministre des Affaires Etrangères et les infatigables ambassadeurs du Sénégal présents dans les quatre coins de la planète. Concrètement, la Présidence du Conseil de sécurité donne l’occasion au Sénégal de propulser sa trouvaille qui est l’hydro-diplomatie ou diplomatie autour de l’eau. Une trouvaille de taille, car l’eau n’est pas un simple liquide. Elle est un enjeu. Les tensions arabo-israéliennes autour du Lac Tibériade et du golfe d’Akaba, hier, ou le bras de fer entre l’Egypte et l’Ethiopie à propos d’un méga-barrage sur le Nil, aujourd’hui, ont prouvé que les nappes d’eau, les plans d’eau et les voies d’eau ne sont pas que des flots à gogo. Chez nous, la belle aventure de l’OMVS démontre l’importance de l’hydro-diplomatie. 

(Entretien réalisé par Ndèye Fatou Seck)  L’OBSERVATEUR DU 14/II/2016

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