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lundi 28 septembre 2015

LA GAUCHE REND HOMMAGE À MOCTAR DIACK

Il est parti avec ses convictions de jeunesse - Ils étaient tous là : Abdou Fall, El Hadji Amadou Sall, Babacar Touré, Decroix, Alimana Bathily, Maguette Thiam, Mody Diop, Djibo Ka, Diallo Diop, Iba Der Thiam… et même de loin, René Lake depuis Washington

J’étais sous la douche quand l’alerte de mon Skype se fit entendre. L’écran affiche 3 appels manqués sans message. C’était René. Je compris que cela devait être très important pour lui qui, d'habitude quand n’arrive pas à me joindre après un appel, me laisse un message détaillé sur l’objet de son appel. En général, l'administrateur de SenePlus.Com, n'insiste pas.
La sonnerie me fait sursauter de nouveau. Je décroche, et René Lake de me dire, la voix cassée : "Connais –tu Moctar Diack ? "Non", répondis-je. Sa voix semble s’éteindre au bout du fil : "C’était un grand ami, un grand patriote…".
Je ne connaissais pas particulièrement Moctar mais l’annonce de son décès  m’a affecté comme s’il avait été mon professeur, mon conseiller, mon formateur, mon camarade de lutte syndicale, mon ami ... comme ces centaines de ‘’têtes bien pleines’’ qui se sont rués à la morgue de l’hôpital Fann ce Dimanche 27 septembre 2015 pour la cérémonie de levée du corps du Docteur Diack. Les visages marqués, les regards tristes, hommes et femmes s’inclinent  respectueusement devant la grandeur de l’homme. Pas de cris d’hystérie, ni de chuchotements bruyants pour rompre le silence mortuaire. Quelques rares personnes, n’arrivant pas à contenir leur peine, sont trahies par leurs larmes. 
Le professeur Iba Der Thiam, Serigne Mansour Sy Djamyl,  le ministre de l’enseignement supérieur Mary Tew Niane, les ministres Mansour Sy et Khoudia Mbaye, Djibo Leity Ka, Maguette Thiam du PIT, El Hadji Amadou Sall du PDS, Mamadou Diop Decroix, l’ancien ministre Abdou Fall, Khassimou Dia, le docteur Diallo Diop, le président du CNRA Babacar Touré, l'éditorialiste de SenePlus.Com Alamana Bathily, Seyni Malle ancien gouverneur de Kaolack … Bref, ils étaient tous là, la Génération de Mai 68. Les soixantuitards veulent rendre un dernier hommage au professeur Moctar Diack décédé la veille des suites d’une courte maladie.
Né en 1945 à Kaolack, Moctar Diack était l’un des leaders de l’Union démocratique des étudiants du Sénégal. Avec d'autres, ils ont remis en cause l’enseignement colonial qui était en vigueur jusqu’en mai 1968. En s’opposant au régime de Senghor, ils ont semé la graine de l’ouverture démocratique. Professeur de Philosophie, il est décrit comme un patriote qui a vécu avec ses convictions jusque dans sa dernière demeure. Serigne Mansour Sy Djamyl qui a dirigé la prière mortuaire rappelle :  "Feu Amadou Aly Dieng disait que presque tous les révolutionnaires de Mai 68 se sont réajustés avec le temps. Mais Moctar est celui qui a vécu en restant fidèle à ses convictions dont les fondamentaux sont la justice et le progrès. Il est parti avec ses convictions de jeunesse’’. Le professeur Diack était l'une de ces rares denrées à rester loyal à ses convictions. Un grand philosophe non pas parce qu’il était docteur en la matière mais de par sa vision du monde, de la liberté. …
MOCTAR MAGNIFIAIT LE DOUTE
‘’J'ai toujours  été très marqué par sa capacité, celle des vrais intellectuels à magnifier le doute. Il argumentait avec une grande passion une position et avec la même verve il prenait le contre-pied pour élaborer la thèse inverse.  Et comme tous ceux qui ne cherchent pas à être les détenteurs de vérités absolues, combien de fois m'est-il arrivé de ne pas savoir au bout du compte quel était son point de vue, si tentait qu'il en avait', de loin, de l'autre côté de l'Atlantique, depuis Washington, ainsi témoigne son vieil ami de 40 ans, René Lake.
"C'est ce procédé intellectuel", ajoute-t-il, "qui a certainement permis à Moctar de passer l'étape de ponte de la contestation de gauche des années 70 à celle d'un observateur engagé mais distant. En fait équidistant de tous’’ affirme René Lake qui ouvre une page de leurs nombreux échanges. "Les innombrables soirées que nous avons passée ensemble à Paris ou à Dakar étaient parfois étonnantes. D'un côté il faisait dans l'analyse politique qui mettait en avant sa sensibilité d'opposant au régime senghorien que Diouf prolongé dans la continuité mais, d'un autre côté, il ne manquait aucune occasion pour exprimer son affection pour ce PS renouvelé et même pour certains de ses caciques comme Djibo Ka", précise René Lake.
Il a enseigné, formé et inspiré de grands intellectuels ici et à l’international. Maguette Thiam secrétaire général du PIT  revient sur  sa première rencontre avec l’éloquent Moctar : "C’était un de nos fleurons. On le voit encore intervenant au coté de Sémou Pathé Gueye, de notre camarade Habib Mbaye à l’époque où ils étaient jeunes et dirigeait le mouvement d’étudiants. Je l’ai connu dans ce contexte là, au cours d’une journée de mobilisation dans une pièce que les étudiants occupaient sur la route de Ouakam. Lorsqu’il a fini de parler j’ai demandé, qui est-ce ? On me dit, c’est lui Moctar Diack.
Je l’ai aussi vu, participant à toutes les luttes et à la création des syndicats comme le SUDES. Non seulement on peut retenir de lui l’engagement dont il a fait preuve toute sa vie mais aussi qu’il est l’un de ces maillons, de  cette intelligentsia dont nous avons absolument besoin et que les jeunes doivent davantage connaître pour que cela puisse les aider à faire face à un monde devenu plus compliqué qu’à l’époque. Nous, qui étions de jeunes enseignants et nous avons côtoyé ces jeunes à l'époque pour constater une grande capacité d’analyse et de mobilisation. Ils se préoccupaient et soutenaient beaucoup des jeunes qui étaient dans les lycées et collèges qui avaient participé à la grande grève des étudiants. Nous avons constaté qu'à cette époque, les relations entre organisations syndicales et organisations d'étudiants empreintes de respect. Après tous les premiers mai ils étaient avec nous pour se battre pour que le Sénégal avance. Moctar Diack mérite notre respect parce qu’il fait parti de cette génération qui s’est battu pour l’avancement et il restera un souvenir pour armer notre jeunesse.’’
Homme de conviction Moctar est aussi un homme d’ouverture avec le sens du partage. En témoigne son amitié avec Djibo Leity Ka qui l’appelait affectueusement grand-frère : "Il était mon ainé de 4 ans. Je l’ai connu pendant les années de braises à l’université et il m’a protégé’’,  confie Djibo qui accepte avec philosophie la volonté divine et prie pour que Dieu accueille son frère dans son paradis.
L’homme était aussi attaché à sa famille. Il était un protecteur et un rassembleur. Sa disponibilité est légendaire. Selon Samba Diack Sall, homonyme du père du professeur Diack, celui-ci savait partager son temps avec tous malgré son emploi du temps. Mais Samba tout en reconnaissant qu’à chaque fois qu’ils se voyaient ils apprenaient beaucoup. Il révèle qu'il a toujours été impressionné par le désintérêt de Moctar Diack pour les choses matérielles. Il déclare aussi s’estimer heureux d’être à Dakar : "Un jour il m’a appelé pour me dire : Samba je sais que tu voyages beaucoup mais je serais très heureux que tu sois là quand je quitterai ce monde. Et grâce à Dieu je suis là pour l’accompagner jusque dans sa dernière demeure comme il le souhaitait. Qu’il repose en paix’’.
Très marqué par la perte de son mentor Samba conclut en ces termes’’ Certes la famille a perdu, mais le Sénégal a aussi perdu un illustre fils. Il n'y a pas assez de mots pour le dire. Il suffit de regarder les personnalités qui sont venues pour lui dire au revoir.
bbadji@seneplus.com

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