BYE BYE L'AMI !
RENÉ LAKE SUR MOCTAR DIACK : L'administrateur de SenePlus.Com parle de cet ancien Bolcho reconverti en observateur et intellectuel engagé pour un pays auquel il souhaite une ambition bien plus grande - HOMMAGE À UN MILITANT - INTERVIEW EXCLUSIVE
Depuis Washington, René Lake rend hommage à son ami de longue date, le philosophe Moctar Diack qui a été enterré hier à Dakar.
Vous étiez un proche ami de Moctar Diack. Vous le connaissiez depuis près de 40 ans, quel souvenir gardez-vous de lui ?
J'ai toujours été très marqué par sa capacité, celle des vrais intellectuels, à magnifier le doute. Il argumentait avec une grande passion une position et avec la même verve il prenait le contre-pied pour élaborer la thèse inverse. Et comme tous ceux qui ne cherchent pas à être les détenteurs d'une vérité absolue, combien de fois m'est-il arrivé de ne pas savoir au bout du compte quel était son point de vue, si tant est qu'il en avait.
En dernier ressort, son point de vue personnel n'avait pour lui que peu d'importance. S'attarder à trop l'élaborer semblait être un exercice qui réduirait une question sérieuse, complexe et profonde à une position individuelle, ce qui la trivialiserait et la rendrait bien trop simpliste. Il n'avait pas peur de ne pas avoir d'avis définitif sur une question mais plutôt de remplacer son opinion par un perpétuel questionnement.
C'est ce procédé intellectuel qui a certainement permis à Moctar de passer de l'étape de ponte de la contestation de gauche des années 70 à celle d'observateur engagé mais distant. Presqu'équidistant de tous. Les innombrables soirées que nous avons passées ensemble à Paris ou à Dakar étaient parfois étonnantes. D'un côté il faisait dans l'analyse politique qui mettait en avant sa sensibilité d'opposant au régime senghorien que Diouf prolongé dans la continuité mais, d'un autre côté, il ne manquait aucune occasion pour exprimer son affection pour ce PS renouvelé et même pour certains de ses caciques comme Djibo Kâ.
Vous étiez ensemble à Paris quand il a soutenu sa thèse de doctorat en philosophie à la Sorbonne. Quels étaient les centres d'intérêt de cet ancien leader de l'Union internationale des étudiants (UIE) dans les années 70 ?
Sa thèse de doctorat en philo à La Sorbonne portait sur le matérialisme médical en France au XIXe siècle. Son directeur de thèse était le professeur Olivier Bloch. Je me souviens des échanges pleins de vigueur qu'il a eus le jour de sa soutenance en mai 1991 avec le président de son jury, grand spécialiste de Bachelard, le célèbre professeur François Dagognet. À mon avis, c'est son approche ultra rationaliste qui l'amenait quelque part à considérer que l'esprit de l'homme noir pouvait se détacher de la douleur de son histoire et penser le monde comme un simple produit humain faisant fi de son vécu propre et de son attachement culturel. C'est ainsi qu'il faut même comprendre le choix de son sujet de thèse qui était pour le moins étonnant pour un militant africain comme lui.
Et bien sûr il ne cessera de me traiter, ainsi que mes amis Ould (Dame Babou), Douap (El Hadj Amadoou Sall qu'il appelait affectueusement Boy Sall), ou encore Viejo (Abdou Fall, alias Vieux Ndiaye) de gauchistes, nationalistes étroits, obsédés par la spécificité africaine qui à ses yeux devait être transcendée. Dans la bonne orthodoxie du marxisme de l'époque, seule la dimension scientifique de l'analyse des rapports de production avait grâce à ses yeux. Et quelque part, ce détachement utopiste lui a permis de rester dans des hauteurs, où peu importe où se trouvait ou ne se trouvait pas la vérité ; il allait et venait pour alimenter la réflexion publique pour dire son exigence d'un Sénégal autrement plus ambitieux.
Peu de jeunes connaissent Moctar Diack. Qu’est-ce qui explique ce manque de reconnaissance ?
Moctar Diack me rappelle ces hommes de la génération qui nous a précédés. Celle des grands héros qui malgré leur dévouement à la cause de notre cher Sénégal et de notre chère Afrique auront si peu de reconnaissance dans nos livres d'histoire. Je pense à Tidiane Baidy Ly, à Babacar Niang, à Moustaphe Diallo, à Seyni Niang, à Pape Gallo Thiam et à bien d'autres de leurs compagnons qui se sont battus et aujourd'hui sont si peu cités, si peu connus. Heureusement, l'un de leur compagnon Cheikh Anta Diop retrouve peu à peu sa place dans les tablettes de notre histoire qui pendant si longtemps ont été écrites par les autres. De la génération suivante, il est l'un de ces grands patriotes, l'un de ces héros que peu connaissent sinon ses compagnons dans les tranchées de l'époque ou quelques uns de ses étudiants qui ont idéalisé cette page de notre histoire.
Quels sont les lieux qui auront marqué votre compagnonnage ?
Je me souviens des innombrables soirées que nous avons passées ensemble à Paris chez lui, à la rue des Ecoles ou chez moi à la rue Bichat. Et puis, il y avait son fameux balcon ici à Dakar, à Liberté VI. C'était le lieu de rencontre de toute la gauche du pays. Moctar était une sorte d'aimant.
Sa générosité sociale et intellectuelle faisait des endroits où il se trouvait, des centres de convergences où l'on venait se régénérer. Il était affable, humble et plein d'humour. Même ceux de nos amis qui entraient et sortaient des gouvernements éprouvaient le besoin, au détour de réunions avec Diouf, Wade ou Macky, de passer prendre du recul sur "son balcon". Il s'agissait de venir y réfléchir, prendre de la distance et repartir avec quelques idées nouvelles mais surtout avec des analyses bien plus affinées que celle amenées au moment de franchir le pas de sa porte.
Si vous aviez un dernier message à lui adresser quel serait-il ?
À Moctar, j'ai envie de dire merci, merci pour tout ce que qu'il m'a donné, merci pour tous mes amis qui sont devenus les siens, merci pour tous les amis que j'ai eu à travers lui, merci d'avoir été pour moi un héros. Notre pays un jour, le dira plus haut et plus fort que moi, c'est en tout cas mon souhait.
bbadji@seneplus.com
Vous étiez un proche ami de Moctar Diack. Vous le connaissiez depuis près de 40 ans, quel souvenir gardez-vous de lui ?
J'ai toujours été très marqué par sa capacité, celle des vrais intellectuels, à magnifier le doute. Il argumentait avec une grande passion une position et avec la même verve il prenait le contre-pied pour élaborer la thèse inverse. Et comme tous ceux qui ne cherchent pas à être les détenteurs d'une vérité absolue, combien de fois m'est-il arrivé de ne pas savoir au bout du compte quel était son point de vue, si tant est qu'il en avait.
En dernier ressort, son point de vue personnel n'avait pour lui que peu d'importance. S'attarder à trop l'élaborer semblait être un exercice qui réduirait une question sérieuse, complexe et profonde à une position individuelle, ce qui la trivialiserait et la rendrait bien trop simpliste. Il n'avait pas peur de ne pas avoir d'avis définitif sur une question mais plutôt de remplacer son opinion par un perpétuel questionnement.
C'est ce procédé intellectuel qui a certainement permis à Moctar de passer de l'étape de ponte de la contestation de gauche des années 70 à celle d'observateur engagé mais distant. Presqu'équidistant de tous. Les innombrables soirées que nous avons passées ensemble à Paris ou à Dakar étaient parfois étonnantes. D'un côté il faisait dans l'analyse politique qui mettait en avant sa sensibilité d'opposant au régime senghorien que Diouf prolongé dans la continuité mais, d'un autre côté, il ne manquait aucune occasion pour exprimer son affection pour ce PS renouvelé et même pour certains de ses caciques comme Djibo Kâ.
Vous étiez ensemble à Paris quand il a soutenu sa thèse de doctorat en philosophie à la Sorbonne. Quels étaient les centres d'intérêt de cet ancien leader de l'Union internationale des étudiants (UIE) dans les années 70 ?
Sa thèse de doctorat en philo à La Sorbonne portait sur le matérialisme médical en France au XIXe siècle. Son directeur de thèse était le professeur Olivier Bloch. Je me souviens des échanges pleins de vigueur qu'il a eus le jour de sa soutenance en mai 1991 avec le président de son jury, grand spécialiste de Bachelard, le célèbre professeur François Dagognet. À mon avis, c'est son approche ultra rationaliste qui l'amenait quelque part à considérer que l'esprit de l'homme noir pouvait se détacher de la douleur de son histoire et penser le monde comme un simple produit humain faisant fi de son vécu propre et de son attachement culturel. C'est ainsi qu'il faut même comprendre le choix de son sujet de thèse qui était pour le moins étonnant pour un militant africain comme lui.
Et bien sûr il ne cessera de me traiter, ainsi que mes amis Ould (Dame Babou), Douap (El Hadj Amadoou Sall qu'il appelait affectueusement Boy Sall), ou encore Viejo (Abdou Fall, alias Vieux Ndiaye) de gauchistes, nationalistes étroits, obsédés par la spécificité africaine qui à ses yeux devait être transcendée. Dans la bonne orthodoxie du marxisme de l'époque, seule la dimension scientifique de l'analyse des rapports de production avait grâce à ses yeux. Et quelque part, ce détachement utopiste lui a permis de rester dans des hauteurs, où peu importe où se trouvait ou ne se trouvait pas la vérité ; il allait et venait pour alimenter la réflexion publique pour dire son exigence d'un Sénégal autrement plus ambitieux.
Peu de jeunes connaissent Moctar Diack. Qu’est-ce qui explique ce manque de reconnaissance ?
Moctar Diack me rappelle ces hommes de la génération qui nous a précédés. Celle des grands héros qui malgré leur dévouement à la cause de notre cher Sénégal et de notre chère Afrique auront si peu de reconnaissance dans nos livres d'histoire. Je pense à Tidiane Baidy Ly, à Babacar Niang, à Moustaphe Diallo, à Seyni Niang, à Pape Gallo Thiam et à bien d'autres de leurs compagnons qui se sont battus et aujourd'hui sont si peu cités, si peu connus. Heureusement, l'un de leur compagnon Cheikh Anta Diop retrouve peu à peu sa place dans les tablettes de notre histoire qui pendant si longtemps ont été écrites par les autres. De la génération suivante, il est l'un de ces grands patriotes, l'un de ces héros que peu connaissent sinon ses compagnons dans les tranchées de l'époque ou quelques uns de ses étudiants qui ont idéalisé cette page de notre histoire.
Quels sont les lieux qui auront marqué votre compagnonnage ?
Je me souviens des innombrables soirées que nous avons passées ensemble à Paris chez lui, à la rue des Ecoles ou chez moi à la rue Bichat. Et puis, il y avait son fameux balcon ici à Dakar, à Liberté VI. C'était le lieu de rencontre de toute la gauche du pays. Moctar était une sorte d'aimant.
Sa générosité sociale et intellectuelle faisait des endroits où il se trouvait, des centres de convergences où l'on venait se régénérer. Il était affable, humble et plein d'humour. Même ceux de nos amis qui entraient et sortaient des gouvernements éprouvaient le besoin, au détour de réunions avec Diouf, Wade ou Macky, de passer prendre du recul sur "son balcon". Il s'agissait de venir y réfléchir, prendre de la distance et repartir avec quelques idées nouvelles mais surtout avec des analyses bien plus affinées que celle amenées au moment de franchir le pas de sa porte.
Si vous aviez un dernier message à lui adresser quel serait-il ?
À Moctar, j'ai envie de dire merci, merci pour tout ce que qu'il m'a donné, merci pour tous mes amis qui sont devenus les siens, merci pour tous les amis que j'ai eu à travers lui, merci d'avoir été pour moi un héros. Notre pays un jour, le dira plus haut et plus fort que moi, c'est en tout cas mon souhait.
bbadji@seneplus.com
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