Abdul KANE, La vie sur un fil, Nouvelles, Ed L’Harmattan, 2013
Le docteur Abdul KANE est chef du service de Cardiologie de l’Hôpital
Général de Grand Yoff et professeur à la faculté de Médecine de
l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar. Quand un tel homme intitule son
livre La vie sur un fil, on ne peut s’empêcher d’avoir des
frissons avant de l’ouvrir, d’imaginer les terribles souffrances qui y
seront exhibées. On se demande aussi comment gérer les ondes et si le
« fil » en question sera droit, solide et bien en place. Il suffit en
effet d’un délestage de la Senelec pour que le pire advienne. On pense à
l’attente, aux angoisses et enfin à la délivrance : la personne dont la
vie est sur un fil va-t-elle guérir ou passer de l’autre côté de la
barrière ?
Pour en avoir le cœur net, je me suis plongée dans la lecture de La vie sur un fil…Abdul
KANE aurait pu choisir d’y parler de l’hôpital comme lieu où l’on
retrouve la santé, la joie et l’espoir, de l’hôpital comme lieu de
« soulagement de la souffrance des hommes » mais il a préféré raconter
sans complaisance une société en crise dont l’hôpital public est le
parfait microcosme.
L’ouvrage se veut une alerte dans la mesure où
l’auteur met en garde contre toute marchandisation de la santé. Ici, le
drame rôde en permanence car les plus faibles sont pris en otage par la
misère, à l’image de ce petit paysan dont le seul tort est d’être tombé
malade sans avoir le sou.
Les maux sont également listés,
entre autres l’exode rural et le désenchantement qui l’accompagne ou le
fait que des médecins qualifiés soient obligés de travailler avec un
matériel défectueux ; les autres tares sont l’incompétence de cet
étudiant dont le Savant dit qu’il « a tué son malade », l’inconscience
de certains agents, symbolisée par la pharmacienne, l’irresponsabilité
de cette infirmière qui n’arrive jamais à l’heure et qui n’est jamais
sanctionnée, la corruption sous toutes ses formes et enfin le manque de
professionnalisme et d’humanisme de la Marâtre si vilainement
xessalisée. Et la laideur de son teint n’est que l’aspect visible de
cette dépigmentation artificielle puisqu’elle agit négativement sur la
flore protectrice tout en rendant vulnérable quiconque s’y adonne. Les
turpitudes des politiciens, les inondations en banlieue, les délestages,
la mendicité et la vulgarité d’une infirmière qui se permet des
remarques obscènes sur la vie sexuelle d’une patiente complètent le
tableau.
Mais il n’y a pas que cela dans La vie sur un fil.
Il y est aussi question de cet enseignant dévoué vivant dans la décence
jusqu’à ce que la maladie de son enfant vienne mettre sa dignité à rude
épreuve. La faute, ici aussi, à l’absence de moyens. D’une certaine
façon, il est Sisyphe réincarné puisque sa souffrance est inutile.
Abdul
KANE rappelle que si on ne sévit pas contre les chauffeurs
indisciplinés et les policiers véreux, plus soucieux de leur poche que
de la sécurité des citoyens, les accidents de la route vont continuer à
faire des victimes. Comment comprendre que certains conducteurs de
« deux-roues » sans papiers ni casque, brûlent impunément tous les feux
et, doublant sur la droite ou sur la gauche, se faufilent entre les
véhicules comme bon leur semble…? Comment comprendre que le retard
chronique des secours n’émeuve jamais personne surtout quand on sait que
des ambulanciers corrompus détournent le carburant ?
Heureusement
que de ce chaos fétide émanent malgré tout d’agréables senteurs, des
perles de lumière, le « sourire candide » de l’étudiante et des
médecins préoccupés « par les tourments de leurs malades » au point de
« reprofiler le traitement ».
Dans sa remarquable préface, le Pr
Soumaré attire l’attention sur un personnage pour le moins insolite de
ce livre : un chat noir, témoin muet de la tragique bévue de
l’aide-soignante «à moitié analphabète qui devine les drogues par leur
aspect» et qui semble vouloir lui crier : « Non, surtout pas cela ! ».
Le félin ne peut, hélas, sauver le fils de Sainte Mère… Heureusement,
celle-ci est une « merveilleuse croyante ». Il en faut donc bien plus
pour ébranler sa foi. Mais, comme le souligne fort justement le
préfacier, « tout le monde n’est pas Sainte Mère ». Jamais le commun des
mortels n’aurait accepté de perdre un proche dans de telles
circonstances. Cela laisse ouverte la question essentielle que voici :
comment un hôpital digne de ce nom peut-il embaucher une personne aussi
peu compétente ? Un tel laisser-aller s’apparente à un insupportable
manque de considération pour l’humain et pour sa vie.
Il n’en reste pas moins que dans des cas extrêmes, la mort peut représenter le repos et la fin d’un certain mal de vivre.
Parfois
c’est « la société qui corrompt l’homme bon » comme le dit Rousseau
avec justesse. On le voit bien avec ce médecin « de plus en plus
acariâtre, lui qui était si serein » mais aussi avec Badou,
l’aide-infirmier « devenu un adulte sans état d’âme ».
Dans La vie sur un fil,
Abdul KANE pose des questions et ouvre des brèches. Le plus important
est de ne pas juger ou traiter les patients en fonction de l’épaisseur
de leur portefeuille. C’est là un défi, celui du respect de la dignité
humaine que le livre de Kane aimerait aider à relever. On peut
appeler cela, au propre comme au figuré, essayer de faire œuvre utile…
Ndèye Codou Fall
xalimasn.com
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