Lauréat de la 25e édition du festival de Ouagadougou
avec son film « Félicité », le Franco-Sénégalais a livré sa vision du
cinéma aux étudiants de la capitale.
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique,
Ouagadougou)
LE MONDE Le 05.03.2017 à 08h56 • Mis à jour le 06.03.2017 à
10h24
Il faut descendre
quelques marches pour atteindre
l’espace grisâtre et sans fenêtre. Il faut aussi jouer
des coudes pour se faire
une place. A l’Institut supérieur de l’image et du son de Ouagadougou (ISIS),
tout le monde
attend Alain Gomis. Même si c’était avant que le réalisateur franco-sénégalais
ne remporte, samedi soir 4 mars, l’Etalon d’or de Yennenga, le grand prix
du Fespaco.
Jeudi, le réalisateur anime une masterclass pour les
étudiants de cette école de formation
aux métiers du cinéma. Pourtant, une partie des têtes est grisonnante et
quelques peaux sont blanches. Partenaires de l’école, cinéphiles de
passage : eux aussi veulent prendre
une leçon de cinéma par
ce réalisateur déjà lauréat de l’Etalon d’Or en 2013 avec Tey, et
dont le dernier long-métrage, Félicité, a déjà été couronné du Grand
Prix du Jury (Ours d’argent) à la Berlinale 2017.
« Je n’ai jamais assisté à une masterclass… Je ne
sais pas ce qu’on doit faire dans ce genre d’exercice. Ça va être
comme sur les tournages, je suis incapable de respecter
le plan prévu », prévient Alain Gomis, une fois que les
applaudissements et la musique d’accueil – un zouk signé Francky Vincent – se
sont tus. A côté de lui, Alciny Barry, critique de cinéma burkinabé, cadre le
débat : « Parlez-nous de la manière dont vous êtes venu au cinéma. »
« Au
cinéma, j’étais chez moi »
« La première fois où le cinéma est venu à moi,
c’était en banlieue parisienne. J’étais à l’école et une projection avait été
organisée. Le réfectoire s’était transformé en salle de cinéma. Pour moi,
c’était magique. La Flèche Brisée, un western américain de Delmer
Daves, était diffusé. Je n’ai pas de souvenirs de l’histoire, mais je me souviens du bien-être que j’ai ressenti à être dans ce film.
J’ai toujours aimé vivre
dans les films. Je ne m’imaginais pas être un des personnages, j’étais dans un
espace que j’avais l’impression d’habiter, en immersion complète dans un monde. Au cinéma, j’étais chez moi »,
développe Alain Gomis, avant de marquer
un temps d’arrêt. Je ne sais pas si tout ça est très intéressant…
– Au contraire, rebondit Alciny Barry. Vous
montrez aux étudiants que l’on ne peut pas créer
à partir
de rien, qu’il faut se nourrir
de films pour se forger
un imaginaire qui va ensuite imprégner
les films qu’on réalise. Mais comment passe-t-on de l’imaginaire, d’une idée, à
un film ?
– Quand je fais un film, il y a d’abord des
personnages que j’ai envie de voir
à l’écran. Ces personnages sont souvent issus des quartiers populaires car j’ai
toujours vécu dans cet univers. Comme dans Félicité, je m’inspire
souvent de choses qui ont été vécues par mes proches. Un de mes jeunes frères a
perdu sa jambe. Il a été mal soigné, il a fallu l’amputer. Je me souviens de
son regard vide, il ne parlait plus, il avait l’impression que sa vie était
terminée. J’ai son visage en mémoire et j’ai voulu le montrer
à l’écran. Et puis, il ne se passait pas deux jours sans que je reçoive un coup
de téléphone de quelqu’un me disant qu’untel était malade, qu’il fallait
l’aider. Il y avait cette difficulté quotidienne qui était là. J’ai eu envie
d’en parler.
Enfin, il y a ces femmes qui font partie de ma vie. Leur droiture m’a toujours
impressionnée, cette capacité à ne pas plier
sous les coups. Des femmes qui résistent. Elles m’ont toujours fasciné. »
Le monologue a le ton de la démonstration. La salle
est muette, personne n’ose interrompre le maître. « A partir de là,
le contexte se met en place. Je commence à écrire
l’histoire d’une femme dont l’enfant a eu un accident et qui doit trouver
de l’argent pour qu’il puisse être opéré. Je lis, je regarde des films, je
patauge, mais je garde l’espoir qu’un déclic arrive, que quelque chose se
passe. Et là, je tombe sur une vidéo d’une femme qui chante des chansons
folkloriques mais avec des instruments électriques. Un mélange de tradition et
de modernité. Tout à coup, les choses deviennent concrètes. Je me dis que c’est
dans cet univers-là que je veux être, avec Félicité. »
« Je veux parler de cette vie
difficile »
Dans l’assistance, une première main se lève. Martine
est actrice et productrice originaire du Togo : « Quand
je vous entends, je me dis que c’est assez particulier de développer une histoire sans avoir
une idée de la fin. Moi, quand j’écris un scénario, je connais la fin mais je
ne sais pas comment je vais y arriver.
C’est une nouvelle tactique que je découvre avec vous.
– Je vais devoir
vous enlever
un peu de plaisir. Je connais assez vite le sentiment que je veux donner
à la fin. Avec Félicité par exemple, j’ai su dès le début que je ne
voulais pas déprimer
les gens. Je me suis dit : je veux parler de cette vie difficile, mais je
veux dire
que c’est beau, que le défi que mes personnages relèvent est beau.
– Mais comment se passe la réalisation ?,
demande Freddie, étudiant ivoirien en art du spectacle, avec une certaine
impatience.
– Une fois le scénario écrit, je me mets en quête
des acteurs. Une chose est importante pour moi : il faut qu’il se passe
quelque chose entre les comédiens et moi. C’est comme dans la vraie vie. Quand
une personne vous accepte dans sa zone de sécurité, une relation de confiance
s’installe et c’est à partir de là qu’on peut commencer
à créer. Ensuite, je me demande à quel endroit je vais mettre
ma caméra pour capter
un maximum de cette énergie, de cette relation. Pour moi, le cinéma a toujours
été un rapport de sensations et de sentiments. »
« Vivre un
film, pas le réaliser »
Emu par le film d’Alain Gomis, Sanfa, un réalisateur
béninois, se lance dans une tirade élogieuse, puis ose : « Je me
dis… Peut-être qu’il y a d’autres secrets que vous voudriez bien partager
avec moi ? Puisez-vous dans la mémoire affective de vos acteurs ?
Vous leur faites forcément quelque chose pour qu’ils oublient à ce point la
caméra !
– Je ne fais pas appel à des choses que les
comédiens ont vécues, mais à cette capacité extraordinaire qu’on a tous à se projeter
dans les expériences et à les vivre comme si elles étaient vraies. Je dis
toujours aux gens avec qui je pars sur un projet que nous n’allons pas réaliser
un film, nous allons le vivre. La vie et le cinéma, c’est la même chose. Je
m’aide du cinéma pour vivre et ma vie m’aide à faire
du cinéma. »
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