HOMMAGE À AMINATA SOPHIE DIÈYE
« NDÈYE TAKHAWALOU » L’éclipse brutale d’un génie anticonformiste (MBEMBA
DRAME)
Elle n’est point sortie du moule des dogmatiques mais
son territoire, en termes d’écriture, elle l’aura marqué par une originalité
qui ne laisse aucun lecteur indifférent. Pour appréhender le personnage, la
dimension de la personnalité qu’incarnait Sophie, il faudrait peut-être
remonter vers les années 86-87, période à laquelle l’adolescente alors élève au
Collège Badara Mbaye Kaba de Bopp partageait ses humanités en compagnie de sa
douce maman qui n’est aussi plus de ce monde, avec votre serviteur.
Cette séquence de sa vie illustrative du déclic de sa
détermination en termes d’option fut aussi révélatrice de la forte personnalité
que son Professeur de Français M. Ndoye assimilait à un anticonformisme
précoce.
Etait-ce le tracé brutal d’un destin en perspective,
là où l’élève de 4e ou 3eSecondaire devait plutôt
être astreinte à une rigueur d’encadrement pédagogique passant par le respect
des heures de cours, bref l’assiduité. Ce flair anticonformiste que lui
soupçonnait son Professeur se traduira plus tard par une turbulente réalité qui
dans les faits la rapprochait plutôt de l’école d’un certain Charles Gainsbourg
pionnier de l’anticonformisme, à la différence que Sophie ne déchirait au moins
un billet de banque.
Sa perception du bouillonnement sociétal auquel elle
appartenait et en marge duquel elle marquait son territoire lui donnait la
singulière posture d’un personnage énigmatique. Toujours le sourire en coin,
l’élève qui étalait un génie pétillant reconnue de ses professeurs et de
l’administration du collège, passera haut les mains le BFEM et finira par
tomber dans le piège de ses ambitions de consécration littéraire. À l’heure des
choix pour une série littéraire en Seconde, Sophie accentua son gout pour la
lecture là où elle avait toujours pensé que les œuvres inscrites aux programmes
constituaient pour elle un écueil face à son souci affirmé de donner libre
cours à son intuition, ses préférences bref une perception libérale de la
pensée prospective, loin du carcan du dogmatisme intellectuel.
Curieux phénomène de désintéressement et de choix
assumé, elle préféra intégrer la ligne rédactionnelle d’un certain Sud
quotidien, sans expérience journalistique, pour, dit-elle fuir le piège du gain
hâtif. Ce choix, elle l’expliquait par « le souci de raffermir la qualité
de la pensée et de l’écriture » et non celui de « faire des piges
pour simplement avoir des honoraires ».
Débarquant ainsi à bonne école où, des professionnels
reconnus de la presse écrite comme Abdou Latif Coulibaly, Vieux Savané et Demba
Ndiaye constituaient le socle d’un groupe où de jeunes loups comme Malick
Rockhy Bâ, Malick Diagne et feu Madior Fall entre autres constituaient le
plateau d’une équipe en difficulté de trésorerie, elle plongea volontiers dans
la mêlée. Histoire, sans doute de commencer par le plus dur.
Les années 90 constitueront une époque charnière
consécutive à son attrait pour le roman. Au-delà des confidences qu’elle me
faisait sous les yeux de sa mère attendrie mais tout de même perplexe, face à
la défection scolaire de sa fille unique, elle constituait véritablement un
« cas ».
Les écrits de Ousmane Sembène notamment «
La noire de… », « Les bouts de bois de Dieu », qui, à ses yeux
étalent des clivages sociaux profonds, l’attirèrent. Dans ces romans réalistes
où l’écriture rendait de façon naturelle le cliché social des travers et
incohérences, la jeune Sophie sentait le manque d’une saveur caustique pour
mieux faire ressortir le sens de la condamnation des faits sociaux qui
dérangent l’équilibre ou l’égalité sociale. Ceci l’amènera à faire d’Ousmane
Sembene son repère idéologique. Elle finira d’ailleurs par partager son temps
entre le domicile du vieux romancier cinéaste, auprès de qui elle constituera
un objet de complicité dans la lutte pour l’instauration d’une société juste et
saine par les idées. Admiratrice de feue Mariama Ba (Une si longue lettre),
elle disait souvent « se retrouver dans la peau de la héroïne
qui incarnait l’injustice, les incohérences sociales et la furie du destin
implacable ».
Parler de celle-là qui n’est point sortie du moule de
Jupiter et qui est venue à la communication par effraction, c’est évoquer la
facette élogieuse d’un génie pétillant qui aura eu le mérite de partir de la trame
de l’originalité auto créative pour imposer sa manière de voir et d’analyser la
société à la manière de Charles Baudelaire en mettant dans le bouillon des
idées une harmonie entre la forme et le fond.
Que de facettes originales, de figures littéraires
allant de l’analogie à la fiction en passant par l’allégorie et la peinture
brutale des faits qui heurtent parfois la morale mais instaurent une visibilité
turbulente mais réaliste des situations. La rubrique « Ndèye
Takhawalou » saura-t-elle garder la splendeur de sa métaphore pour adoucir
le sommeil de ce génie, de cet orfèvre de la plume pour que la page habituelle
puisse toujours fourmiller du menu croustillant auquel Sophie nous aura
habitués.
Dors en paix, amazone de la plume alerte !
MBEMBA
DRAME
Journaliste
consultant
rewmi.com
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