L’OBS – «J’ai été sauvée de beaucoup choses grâce à ma foi»
«Nous sommes seulement de passage sur cette terre et on n’a pas besoin de s’encombrer»
«L’objet auquel je m’attache le plus, c’est le livre»
«Les rendez-vous fixés par Dieu sont les plus bouleversants»
Dans son studio dépouillé de Liberté VI, Aminata Sophie alias
Ndèye Takhawalou recevait dans son refuge d’ascète où rien de familier
n’attestait d’un ancrage. Le décor est à l’image du propriétaire.
Une natte de prière sur laquelle est disposé un exemplaire
du Coran orne le sol. Un matelas, un ventilateur, quelques effets de
toilettes et des paniers à rangement constituent le reste du décor.
La seule chose qui atteste des gouts littéraires de
l’écrivain est une rustique bibliothèque garnie d’œuvres de son auteur
préféré, Rùmi (philosophe musulman du XIIIe siècle). Posée sur le lit à
même le carrelage, la chroniqueuse qui vient de publier son premier
recueil de nouvelles, «De la traînée à la Sainte», réajuste son top
fleuri en triturant nerveusement les cordons, dans une ambiance aux
senteurs d’Orient.
Le rire facile, Ndèye Takhawalou passerait pour une glaciale
caricature si la personne qu’elle est à l’état civil ne revendiquait pas
cette touche d’authenticité qui la fait replonger dans son enfance, son
boulot et cette chronique aux relents autobiographiques. Cette
interview a été publiée le vendredi 13 décembre 2013.
Le lendemain, elle procédait à la dédicace de sa toute
première œuvre, «De la traînée à la sainte». Une interview décapante.
Un brut de décoffrage comme l’était Aminata. En hommage à sa mémoire,
L’Obs republie l’intégralité de l’entretien. Du Ndèye Takhawalou tout
court.
PAR NDEYE FATOU SECK & AICHA FALL THIAM
D’où vient le pseudonyme de Ndèye Takhawalou ?
Je suis considérée au Sénégal comme une femme qui erre. Mais, l’errance chez moi est moins physique que spirituelle.
Comment en est-on arrivé à vous appeler ainsi ?
J’aime bien ce qu’on appelle l’autodérision. J’ai trouvé que Ndèye
Takhawalou est un prénom qui répondait bien à la société sénégalaise et
personne ne veut l’endosser.
Vous vous sentez plus proche de Ndèye Takhawalou ou de votre véritable personnage ?
Mon véritable personnage se confond à Ndèye Takhawalou. J’ai toujours
aimé les pseudonymes qui me permettent d’avoir beaucoup plus de
liberté. Il y a eu «Ndawsi», «Miss Town» etc. Cela procède un peu du
dédoublement de la personnalité. C’est à la limite de la Schizophrénie.
J’aime bien habiter les personnages. Cela s’explique peut-être par le
fait que j’étais fille unique du côté de ma mère.
«Le noyau de mes chroniques, c’est la réalité»
Souvent, on prend des personnages quand on veut fuir une réalité. Est-ce votre cas ?
Ceux qui liront le recueil «De la trainée à la sainte» sauront si je
fuis une réalité ou pas. Dans mes chroniques, il y a une grosse part de
réalité que j’ai vécue.
Quelle est la part de la réalité et celle de la fiction ?
Le noyau, c’est la réalité. Ensuite, il y a l’écorce littéraire qui
l’entoure. Je change les noms des personnes citées pour ne pas avoir de
problème.
Tout à l’heure vous parliez de votre nature errante. Est-ce que vous avez un ancrage familial ?
Il n’y a ni tableau au mur, ni lit dans mon studio qui est totalement
dépouillé parce que je considère que nous sommes seulement de passage
sur cette terre et qu’on n’a pas besoin de s’encombrer. L’objet auquel
je m’attache le plus, c’est le livre.
Quand vous parlez de ne pas s’attacher, cela inclut la famille ?
Je suis fille unique du côté de ma mère. J’ai connu mes demi-frères
et sœurs sur le tard et à l’exception d’une seule, j’ai des rapports
très conflictuels avec les autres. J’ai perdu ma mère à l’âge de 26 ans.
Le jour de son décès, j’ai beaucoup pleuré car je me disais que,
désormais je serai seule au monde. Elle était une grande amie. Mon goût
pour l’écriture me vient d’elle. Elle était secrétaire au tribunal de
Thiès et chaque soir, elle rentrait à la maison avec un nouveau fait
divers. Elle écrivait aussi, elle tenait un journal et c’est à ce moment
que je me suis rendu compte qu’il était possible de passer de l’autre
côté des mots, d’être auteur et cela a été le déclic. J’ai commencé à
écrire à 16 ans. Même si je n’ai pas fait des études poussées parce que
j’ai été virée de l’école en classe de Seconde. Actuellement, je cite
beaucoup Rùmi mais pendant très longtemps, mes références étaient les
auteures américaines comme Tony Morrison. Ma préférée reste Maya Angelou
qui a écrit un roman autobiographique intitulé, «Je sais pourquoi
l’oiseau chante en cage».
Pour quels motifs avez-vous été virée de l’école ?
J’ai été virée pour insuffisance de résultats. Je préférais rester à
la maison pour lire les auteurs qui me plaisaient. Dans ce cas,
pourquoi aller à l’école pour me coltiner des auteurs que je n’aime
pas ? J’étais nulle en mathématiques et quand quelque chose ne
m’intéresse pas, je ne m’investis pas.
Quel genre d’élève étiez-vous?
J’étais un trublion. Quand j’allais à l’école, c’était vraiment pour
déconcentrer mes camarades et disparaître pendant 3 mois. Quand je
revenais, j’inventais des histoires incroyables pour justifier mes
absences.
Est-ce que votre mère n’a pas été déçue de vous voir virer de l’école ?
Ma mère était très déçue et elle m’a dit que je ne pouvais pas rester
oisive. Pour m’occuper, je me suis inscrite au Conservatoire d’arts
dramatiques sans conviction.
Vous êtes virée de l’école à 18 ans et vous vous retrouvez à Dakar avec votre mère. Qu’est ce qui s’est passé avec votre père ?
Mon père et ma mère ont divorcé quand j’avais 12 ans. Mais, avec mon
père, j’avais des rapports très conflictuels. Et malgré cela, à son
décès, j’ai beaucoup pleuré parce que je me disais qu’il n’était plus
possible de revenir en arrière. J’ai habité avec lui pendant 3 mois.
Quel était le problème avec votre père ? Il n’aimait pas votre mode de vie ?
C’est quelque chose que je ne peux pas expliquer.
Quels étaient vos sentiments pour lui ?
Mon père était inspecteur des impôts et c’était un personnage qui me
faisait très peur. Il était capable d’élan de générosité incroyable
comme il pouvait être d’une indifférence sidérante. Son grand problème,
c’est qu’il était trop riche. C’est pour cela que j’ai un rapport
conflictuel avec l’argent. Je peux avoir des millions cette semaine et
la semaine d’après être dans la dèche totale. Pour moi, l’argent cultive
l’orgueil, encombre l’esprit et chasse l’affectif et la part d’humanité
chez les gens.
De là à vivre en ascète ?
Oui. Il fut un moment de ma vie où je me suis dit qu’il n’y a que
Dieu pour régler mes problèmes car, il y en avait trop. J’ai été sauvée
de beaucoup choses grâce à ma foi.
Lesquelles ?
L’errance et les hommes. J’ai toujours eu un problème avec les
hommes. Quand un homme venait me voir, il me contait fleurette et je
suis très crédule, j’y croyais. A la fin, c’était juste un simple désir
qu’il voulait assouvir. C’est pourquoi dans le recueil, il y a
l’association des femmes naïves. Je n’arrivais pas à déceler le vrai du
faux.
Comment se fait-il que Ndèye Takhawalou ait subi autant de galères et que vous gardiez toujours votre naïveté ?
Dans la famille de ma mère, tout passe par l’autodérision, l’humour,
même les choses les plus graves. Je suis donc restée une femme naïve.
«Les talibés étaient les seuls invités à mon mariage»
Est-ce que Ndèye Takhawalou a ses coups de gueule ?
Je peux passer d’une extrémité à une autre. Je peux être d’une
endurance extraordinaire comme je peux être d’une grande fragilité. Je
suis sûre que si l’homme à la moustache était avec une autre femme, elle
l’aurait virée mais moi… En fait, il y a toujours dans l’homme quelque
chose d’assez sacré que j’essaie de voir. Cet épisode m’a d’ailleurs
valu le fou rire de ma vie, ça a duré un moment. C’est une histoire
entièrement vraie, j’ai juste changé la profession de l’homme.
Parlez-nous de cette vie à Paris. Eric Madelin, votre mari dans la chronique, a-t-il réellement existé ?
Attendez… (Elle se lève du lit sur lequel se déroule l’entretien,
farfouille dans un de ses sacs rangés à l’étagère du bas de la
bibliothèque et en ressort un petit carnet bleu qu’elle nous présente en
riant). Voilà mon livret de famille délivré par la mairie du 9e
arrondissement de Paris. Eric s’était converti à l’Islam pour m’épouser
mais, à dire vrai, je ne l’ai jamais vu prier et cela l’énervait
lorsque je fredonnais des chants religieux.
Comment s’est fait la rencontre ?
Les rendez-vous fixés par Dieu sont les plus bouleversants. On s’est
rencontré à une conférence sur le polar et j’ai aimé la manière dont il
ponctuait ses discours de mots wolofs. C’était un homme qui avait sa
part d’ombre et de lumière. Il était assez gauche dans son approche de
la société sénégalaise, je me suis mise en devoir de le rectifier mais,
je me suis rendu compte qu’il était assez braqué sur ses positions.
Comment s’est fait le mariage ?
Je suis issue d’une famille lébou où l’on se marie entre nous. Je
savais que ma famille ne cautionnerait jamais une telle union, j’ai
alors eu recours à un ami. Je lui ai envoyé des tonnes de mails parce
que j’avais des problèmes de conscience à vivre en concubinage. Il avait
une association d’enfants de la rue, et ce sont eux qui ont mangé et bu
tout le gingembre et les beignets.
Votre mari n’a jamais rencontré votre famille ?
Si. Une fois je l’ai emmené à Diamegeune à Thiès, il tenait à voir là
où j’ai grandi et vécu, il voulait remonter à la source pour comprendre
le personnage que j’étais.
«J’ai peur de la France»
Après le mariage, vous débarquez à Paris. Comment se passe l’intégration ?
J’étais dans un quartier chic avec des bourgeois bohêmes, des
artistes, des gens qui étaient dans le snobisme. J’ai joué dans un long
métrage de Roman Bohringer, «Lili et le baobab». En fait, je n’ai plus
envie d’aller en France.
Expliquez-vous ?
La France n’est plus un pays fréquentable. Quand on voit le ministre
de la Justice française être traitée de singe (Allusion à un épisode de
la vie politique française où Christiane Taubira, l’ex-ministre de la
Justice d’origine guadeloupéenne, avait été traitée de guenon par une
fillette brandissant une banane, Ndlr), je trouve cela
horrible. La seule chose précieuse dans ma vie en ce moment, c’est la
foi en Dieu. Et, là où il caricature le Prophète… Enfin voilà, je
préfère le Sénégal, c’est rassurant d’entendre 5 fois par jour l’appel
du muezzin. Je suis plus rattachée à l’Au-delà qu’ici-bas, la prière est
pour moi un lien, un équilibre. A Paris, on ne peut même pas dire
Incha’Allah.
On dirait que l’occident vous fait peur ?
J’ai peur de la France. J’y allais tous les 3mois de 2000 à 2002 et
j’y ai vécu en permanence de 2002 à 2007. Puis un beau jour, j’ai pris
mes cliques et mes claques et je me suis cassée.
En laissant votre mari derrière vous ?
Vous le saurez dans les chroniques à venir. Je ne suis pas intéressée
par le confort de vie donc je ne reste pas à Paris si c’est seulement
pour me la jouer Parisienne, je ne suis pas attirée par la frime.
Avez-vous songé à prendre la nationalité française ?
Non. J’ai été très choquée un jour parce qu’une femme m’a appelée
pour un film ou une conférence, elle pensait qu’elle allait me blesser
en me disant que j’étais d’origine sénégalaise. Je lui ai rétorqué
fièrement que j’étais Sénégalaise et que j’avais un passeport
sénégalais. Je trouve qu’il y a de la récupération du côté des artistes,
vu que tout le monde rêve d’avoir la nationalité.
«Je suis une grande angoissée»
Songez-vous à vous remarier et à faire des enfants ?
J’ai une conception assez particulière de la maternité. Je trouve le
spectacle de la mère et de l’enfant sublime mais, je n’en ferais pas un
drame si je n’ai pas d’enfant.
Ce n’est pas dans l’ordre de vos priorités ?
Ce n’est pas une question de priorité. Je me suis mariée pendant des années et je n’ai pas eu d’enfant.
C’était voulu ?
Non, je ne suis jamais tombée enceinte.
Ne pensez-vous pas être plus stable avec un enfant dans votre vie ?
Je suis une grande angoissée. Si j’avais un enfant, j’aurais tout le
temps peur qu’il lui arrive quelque chose. Je ne saurais décrypter ni
ses cris ni ses pleurs. J’étais tellement précieuse aux yeux de ma mère
que c’était directement la clinique dès que je me plaignais. J’avais
d’ailleurs trouvé des astuces, je disais que j’avais mal au ventre
lorsque je voulais prendre l’air. Une fois, j’ai fait la mourante et ma
grand-mère a donné l’ordre qu’on m’emmenât à la clinique. Dès qu’on est
entré dans le taxi, résurrection ! Je commençais à commenter: ah le
tribunal ! Ah la mairie !
Pourquoi l’enfant que vous étiez, ne sortait pas ?
Parce qu’on avait peur pour moi. C’était de la surprotection. Je me
rappelle mes tantes m’ont emmenée à une séance de tam-tam, je voulais
danser. On me l’a interdit et arrivée à la maison, j’ai piqué une crise
de nerfs. Ma grand-mère a fait venir le batteur à la maison pour une
séance de sabar privé. J’ai dansé à satiété applaudi par ma grand-mère
pendant que le reste de la maison vaquait à ses occupations. Ma mère
était ébahie parce qu’elle n’adhérait pas à mes caprices. J’ai grandi
dans cette ambiance-là. Je n’étais donc pas préparée aux trucs durs que
j’ai vécus par la suite.
«Aucun Sénégalais ne veut de moi»
Et l’adolescence ?
(Elle respire profondément). C’était vraiment dur parce que ma mère
est tombée malade. On était à Dakar, la vie coutait cher…J’ai vécu des
choses terribles et assez traumatisantes.
Vous étiez tout d’un coup confronté à la déche ?
Avec le diabète de ma mère, c’était très compliqué. Je n’avais pas encore commencé à travailler, c’était vraiment compliqué.
Vos chroniques sur le tribunal et la légitimité c’est du vécu ?
Oui ! Mon père était tellement riche qu’il avait prêté 20 millions à
un de ses amis, ça ce n’est pas l’héritage mais juste une dette. Ils se
sont partagé l’argent et moi je n’y figurais pas. J’ai donc fait valoir
mes droits au tribunal.
Sur un ton plus léger, peut-on savoir vos occupations lorsque vous n’écrivez pas ?
J’aime lire, rigoler avec des amis. Ce qui me manque aussi, c’est
d’aller au cinéma. En France, j’allais tout le temps au cinéma de la
Bastille. Sinon côté cuisine, j’adore manger le ndolé, un plat
camerounais.
Vous cuisinez ?
Ma famille comprise, il y a beaucoup de gens qui pensent que je ne
sais pas faire la cuisine mais, la cuisine est en fait une affaire de
générosité. Je n’aime pas trop manger du riz tout le temps, je varie
donc avec du attiéké, du alloco. Lorsque je fais du couscous
sénégalais, j’y incorpore des épices de la méditerranée. La cuisine,
c’est une alchimie et il se trouve que j’aime bien brasser.
Si l’occasion vous était offerte de renaitre et de choisir votre vie ?
J’aurais prié Dieu d’avoir la même mère et contre toute attente,
d’avoir le même père. Peut-être que j’aurais une sœur pour éviter la
solitude de l’enfant unique. J’aurais aussi un mari qui ne serait pas
forcément Français. Surtout pas ! J’ai des problèmes maintenant pour
trouver un mari sénégalais, aucun sénégalais ne veut de moi à cause de
ce que je raconte dans la presse (rires). Les gens se disent que je suis
une fille à problèmes.
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