Dakaractu
Chère Andrée-Marie,
La médaille que tu reçois aujourd’hui est
singulière. Ce n’est pas une médaille décrétée par l’autorité, mais une
médaille décernée par une communauté. C’est une médaille dont la charge
affective ne peut être contenue par une poitrine, fût-elle bombée de
dignité et de vanité institutionnelle. Cette médaille, elle te porte
dans le cœur de tous ceux qui te sont chers.
A la veille de sa
retraite, mon épouse a reçu une médaille pour, comme le veut la formule
rituelle, récompenser ses fidèles et loyaux services. Mais ayant
constaté l’oubli dans lequel le Grand Chancelier nous a confinés, nous
les enseignants, militants de l’école, vaillants chevaliers, vaillantes
chevalières de l’ordre de la craie, de l’éponge et du tableau vermoulu,
mon épouse s’exclama toute embarrassée et pressée de décharger sa
conscience:
«Xanaa yeen kenn du leen décorer?»
(Pourquoi ne vous décore-t-on jamais ?)
Mesdames Messieurs, chers collègues, la cérémonie d’aujourd’hui nous
apporte la réponse à la troublante question de mon épouse! La vraie
médaille, la voici Andrée-Marie: c’est la reconnaissance de tes pairs,
la reconnaissance de tes anciens élèves et étudiants! La vraie médaille,
c’est cet hommage unanime, une médaille dont les reflets éclipsent la
prestigieuse Légion d’Honneur décernée en toute solennité à la Grande
Chancellerie à des citoyens certes méritants, mais pas plus dévoués, pas
plus loyaux que toi, ni plus compétents que le grand penseur, le grand
intellectuel qui toute une vie t’a accompagnée et dont la contribution à
la formation de nos élites est incontestable, je veux citer ton époux,
le professeur Mame Moussé Diagne! C’est pourquoi je peux dire, Andrée
Marie, que tu n’es point Lady Macbeth, ce personnage acariâtre de
Shakespeare qui reprochait à son mari d’être « imbu de lait d’humaine bonté »
car tu es la bonté incarnée, parce que tu as appris toute ta vie à
partager ce qui n’a pas de prix : le savoir! En cela tu es comme cette
Grande Royale de Cheikh Hamidou Kane qui a perçu avant les Diallobés la « vertu apaisante de l’école »
car tu es la bonté qui materne l’apprenant, la bonté qui couve son
esprit pour que jaillisse de son visage crispé par l’angoisse de
l’échec, ce sourire étincelant, comme pour dire, Madame, maintenant j’ai
compris! C’est cette altérité, ce culte de l’autre qui rappelle cette
pensée d’Auguste Comte et à laquelle tu as su donner une réalité
pédagogique durant toute ta carrière:
« Toute éducation humaine doit préparer chacun à vivre pour autrui afin de revivre en autrui.»
Revivre en autrui, c’est renaitre dans le cœur et l’esprit de ceux que
tu as formés dont certains sont ici aujourd’hui, ceux à qui tu as donné
plus que tu n’avais et qui sont devenus plus que tu n’es; comme dirait
Victor Hugo,
« Plus qu’une transformation, c’est une transfiguration»!
Andrée-Marie tu as compris que les enseignants produisent plus que de
la richesse: ils créent de la valeur qui dépasse la leur par la magie
de la pédagogie. La valeur que l’enseignant crée, c’est la joie mêlée de
déférence et de reconnaissance de ces anciens élèves et étudiants
devenus qui médecin, qui ingénieur, qui professeur d’université.
C’est l’élan spontané de cet autre élève devenu un citoyen, une
citoyenne respectable et honorable qui se précipite pour payer votre
note de restaurant à votre insu. C’est pourquoi cette valeur transcende
les grilles indiciaires étriqués de la Fonction Publique C’est plus
éloquemment tout ce monde venu te rendre hommage et t’honorer devant ta
famille!
Permettez-moi de conclure par une prière, un cri du
cœur. Que cette cérémonie soit l’occasion pour une prise de conscience
de la nécessité de réhabiliter le savoir et ceux qui, comme Andrée
Marie, le construisent
Loin de la clameur assourdissante des arènes où l’irrationnel est loi,
Loin des couloirs lambrissés où les laudateurs sont rois,
Loin des média assiégés par des politiciens sans foi!
Félicitations Andrée-Marie, que Dieu te garde longtemps parmi nous ! Je vous remercie !
Mathiam Thiam
Département de Didactique de l’Anglais, FASTEF
Inspecteur Général de l’Education Nationale
Le 16 mai 2015
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