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lundi 14 août 2017

Babacar Justin Ndiaye

dakaractu

Le Sénégal est un pays à cohésion sociale avancée et réversible
 
Les citoyennes Houlèye Mané, Amy Collé Dieng et Penda Ba ont, toutes les trois, gravement dérapé, à des degrés diversement préoccupants. La journaliste et l’artiste ont chiffonné, par l’image et par le verbe, la plus haute institution du panorama étatique. Quant à la dame Penda Ba, elle a tiré au bazooka, sur la cohésion nationale. Bien entendu, la justice n’a pas été inerte. Comme toujours, des figures de la vie publique (Alioune Tine et Penda Mbow) ont bougé dans le sens le plus conforme à leurs vocations communes. L’historienne a vanté, et surtout, vendu, avec succès, les vertus du pardon, au Président Macky Sall. En tout cas, Houlèye Mané est subitement libre. De son côté, l’ancien responsable de la RADDHO a bien mis en exergue le dégel et la décrispation qui sont indispensables à l’essor de la démocratie. Mon avis – exclusivement articulé à l’équilibre, au renforcement et à la sauvegarde de la nation en gestation – est beaucoup plus mitigé.

L’apologie de l’emprisonnement n’est guère à l’ordre du jour. Bien au contraire. Même l’oiseau encagé aspire à la liberté, à fortiori, Houlèye Mané, Amy Collé Dieng et Penda Ba. Toutefois, il urge d’enrayer, par la fermeté, une montée des périls forcément fatale. Car, le Sénégal est un pays à cohésion sociale très avancée, toujours insuffisante et encore réversible. Toute glose calculée, opportuniste et frénétique autour de l’ethnie, de la confession et de la communauté, diffuse, non pas des étincelles, mais engendre une boule de feu. Sur ce terrain truffé de chausse-trappes, Penda Ba a évolué à la manière d’un éléphant dans un magasin de porcelaines. Avec une inconscience totale ou une froide détermination ? Je n’en sais rien. Les juges et les psychanalystes y répondront. Pour l’heure, donnons à l’actuelle génération (Macky Sall et ses ministres) qui préside aux destinées du Sénégal, une claire idée de la qualité et de la préciosité de l’héritage qui leur est légué par d’illustres devanciers aux commandes de l’Etat !

C’est le très mesuré et très modéré Président Léopold Sédar Senghor qui a porté le Sénégal indépendant, sur les fonts baptismaux, au double plan des institutions étatiques et du raffermissement de l’entité nationale. Issu de deux minorités (religion chrétienne et ethnie sérère) le fondateur du BDS-UPS-PS fut indiscutablement davantage un chef d’Etat tatillon qu’un chef de Parti zélé ou un chef de clan borné. Il dosa merveilleusement (seul le bon Dieu accède à la perfection) le partage des responsabilités entre les régions, les communautés et subsidiairement les confessions. Le tout, sur fond de compétences disponibles, de profils adéquats et de cohésion recherchée à l’échelle du pays. Le tableau récapitulatif des nominations aux emplois civils et militaires les plus élevés, est expressif à cet égard, notamment au sein des organes les plus névralgiques du jeune Etat, dans une nation en gestation.

Sous le magistère du Président Senghor, le commandement des Armées et la hiérarchie de la Gendarmerie étaient peuplés de Casamançais, de Djoloff-Djoloff et quasiment vides de Sérères. Le premier patron de la Gendarmerie africanisée (après le départ du Lieutenant- colonel Picard) fut le Capitaine Ahmeth Fall de Kolda. Le troisième chef d’Etat-major des Armées – après les Généraux Amadou Fall et Jean-Alfred Diallo – fut le Colonel et futur Général Idrissa Fall. Un natif de Sédhiou. Malgré leurs noms qui sonnent Wolof ou Maure, les officiers Ahmeth et Idrissa sont culturellement et psychologiquement des Casamançais. Justement, la Casamance rebelle, irrédentiste, séparatiste et turbulente a donné deux chefs d’États-majors emblématiques au Sénégal : les Généraux Idrissa Fall et Tavarez de Souza, dans un contexte d’épidémie de coups d’Etat militaires en Afrique. Même le Colonel Ba Tamsir, réputé proche de Mamadou Dia et de Waldiodio Ndiaye (deux ennemis puis prisonniers de Senghor) fut momentanément nommé à la Direction de la Gendarmerie. Comme quoi, les Présidents Senghor et Diouf plaçaient la barre très haut, au-dessus des considérations subjectives. En un mot, ils prenaient le gros risque de mettre les institutions, au-dessus des ethnies. Quel démonstratif culte de la République et de la Nation ! Le Général Waly Faye (un Sérère comme Senghor) ne dirigea ou ne commanda la Gendarmerie qu’après le départ de Senghor, et dans le sillage de la montée en flèche de son parrain et protecteur, Jean Collin. Senghor n’aimait pas le Général Waly Faye pour des raisons qu’il n’est pas indiqué d’indiquer ici. J’ai volontairement omis de citer le Général Abdoulaye Soumaré, CEMGA de l’armée fédérale du Mali.

A l’échelle gouvernementale et dans le domaine sécuritaire, la pédagogie de la construction nationale fut également remarquable. Amadou Clédor Sall s’installa au ministère de l’Intérieur, dans le contexte agité de mai 68 et de ses lendemains tendus. Tandis que le Bureau de Sécurité de la Présidence (services secrets d’alors) tomba sous l’autorité du Commissaire Sidibé. Les Sidibé sont des Peulhs du Wassoulou. Durant la même période, Mady Cissokho de Kédougou, issu d’une région périphérique et d’une ethnie tout aussi confinée, fut l’unique ministre d’Etat du gouvernement de Senghor. Mieux, il assurait l’intérim du chef de l’Etat durant les absences ou les vacances de Senghor, en Normandie. Abdou Diouf (homme d’Etat placide) maintint Ibrahima Wone à la Sûreté nationale, avant d’en faire son inamovible ministre de l’Intérieur, finalement emporté par la manifestation des policiers, en 1987. Voilà le chemin de la consolidation et de la pérennisation de la Nation ! Chemin qu’il ne faut ni dévier ni déserter.

Bref, le devoir urgentissime est de tracer une ligne rouge pour des boutefeux armés de tisonniers et désireux, précisément, d’attiser le feu ethnique. Penda Ba répondait-elle à Amy Collé Dieng ou à Assane Diouf, l’autre pyromane d’outre-Atlantique ? Peu importe ! Sa riposte est démesurée, incontrôlée, non ciblée, et non encadrée. Telle une mitraillette en folie, elle a lâché des rafales d’injures en direction d’une ethnie qui, à l’image de toutes les autres, renferme des saints et des vénérés. C’est le lieu de magnifier la promptitude et la vigueur de la réaction, sans équivoque, du journaliste et figure pionnière de l’APR, Abou Abel Thiam. Appartenant à la même ethnie, militant dans le même Parti et venant de la même région que Penda Ba, ce proche du Président Sall, a condamné fermement et souligné amplement les périls encourus. Un recadrage qui n’est pas étranger au prolongement judiciaire du dérapage.

Temps de la justice mais, aussi, temps de l’indispensable catharsis qui s’impose. La séance d’introspection commencera normalement par la question suivante : pourquoi ce qui n’a jamais effleuré l’esprit des Sénégalais, l’assiège, aujourd’hui, en 2017 ? S’il faut rectifier le tir, à la lumière de la gouvernance exemplaire de Senghor et de Diouf, ce sont les Pouvoirs publics qui sont alors indexés. Et, au-delà d’eux, toute la nation. Il y a des cécités, des complaisances et des hypocrisies qui sont coupables et fatales. Un pays qui traine, depuis trente ans, le boulet casamançais, doit faire attention à tous les défis menaçant la cohésion nationale. Au demeurant, le MFDC est moins dangereux que ceux qui jouent la carte ethnique, soit pour accabler politiquement le régime, soit pour accaparer les privilèges, sur la base d’une distribution communautaire des postes de responsabilité. En effet, le MFDC convoque des arguments historiques et juridiques, pour asseoir le séparatisme ou l’indépendance. Arguments fumeux voire fallacieux ; mais arguments très au-dessus de l’instrumentalisation de la folle fibre ethnique. Au sein des instances dirigeantes du MFDC, se côtoient des musulmans, des chrétiens, des animistes, des diolas et des peulhs. En tout état de cause, l’éclatement de la bombe ethnique sera si apocalyptique, qu’il donnera au sanglant conflit casamançais, les couleurs d’une partie de pique-nique sur la plage, entre copains un peu éméchés.

PS : Les amis de l’artiste Amy Collé Dieng trouvent que le mot « saï-saï » ou « saye-saye », n’a pas, de prime abord, une charge injurieuse ou ordurière. En grammaire, il a un sens ambivalent. Il choque et amuse. Le contexte de l’emploi, le sexe de l’auteur de la phrase dans laquelle on encastre le mot « saye-saye » et la personnalité de la cible visée, peuvent serrer ou desserrer l’étau judiciaire. Un chauffeur de taxi qui dit que tel ministre est un saye-saye, provoque l’hilarité. En revanche, le même mot qui tombe des lèvres d’une belle dame, glisse du lexique vers la braguette du pantalon du ministre incriminé.



La victoire de Macky Sall face à la gloire de Khalifa Sall

Au vu de la montagne des manquements et de la rivière des irrégularités, les législatives du 30 juillet dernier, ont accouché d’un prévisible bonneteau électoral qui donne, simultanément, le désir de rire et l’envie de pleurer. A cet égard, les vertus heuristiques ou pédagogiques de la comparaison aiguillonnent les chroniqueurs vers la Gambie où les boules du dictateur Yaya Jammeh (archaïques et risibles) ont été tellement fiables, qu’elles ont démocratiquement fait trébucher le tyran qui – assommé par la netteté de sa défaite – a félicité son adversaire, avant de se raviser, de signer son arrêt de mort politique et de recevoir, via la CEDEAO, son passeport pour l’exil. Pour la présidentielle de 2019, au Sénégal, il conviendra d’importer les boules de Banjul, moins coûteuses que les cartes d’identité biométriques (50 milliards CFA) et plus pratiques, face à une cinquantaine de listes.

Trêve d’ironie sévère, mais sensée ! Le Laser du lundi, c’est-à-dire le rayon X des évènements de la semaine, avait, par anticipation, fouillé dans les viscères du scrutin. Dans le premier paragraphe de la chronique du 24 juillet, soit sept jours avant le vote, on lisait ceci : « Pas nécessaire d’être un Roi mage en Galilée ou au Guidimakha, pour entrevoir la victoire à la Pyrrhus d’un des deux camps ». Dans le dernier paragraphe, avant le post-scriptum, on tombait sur l’assertion prémonitoire que voici : « Avec l’appareil judiciaire qui a déblayé le terrain (le maire Khalifa Sall est en prison) la défaite d’Amadou Ba, à Dakar, n’est pas à l’ordre du jour, dans le camp présidentiel ». Quatre jours après la proclamation des résultats, c’est le temps de l’éclosion des leçons post-législatives. De ce flot d’enseignements, dégageons et passons au peigne fin, les trois ci-dessous !

Le syndrome Hama Amadou. Abstraction faite des différences de scrutins (une élection législative n’est pas une élection présidentielle), on reste pantois devant la performance du détenu-candidat face à son geôlier-candidat. Au Niger, l’opposant Hama Amadou immobilisé dans sa cellule de la prison provinciale de Tillabéry, a contraint le Président Issoufou au second tour. Grande humiliation pour un chef d’Etat en exercice, disposant d’une noria de 4X4, d’une flottille d’hélicoptères, d’un avion de commandement et du nerf de la guerre (l’argent) pour écumer tout le territoire ! A Dakar, le prisonnier Khalifa Sall, bloqué à Rebeuss, a mis, en difficulté extrême, l’argentier de l’Etat, Amadou Ba, qui n’a gagné (avec ou sans guillemets) qu’après un comptage serré et nocturne des voix. Victoire ne peut être plus pâle que celle-là, devant l’éclatante gloire de celui qui a défendu l’inexpugnable citadelle de Dakar, avec le même héroïsme que la Légion Etrangère à Camerone ou les Marines US à Guadalcanal. A l’issue d’un combat de lutte entre Balla Gaye II et un handicapé physique, tout ralentissement nécessaire de l’image, pour bien identifier le vainqueur, consacre, déjà, une certaine défaite de l’ancien roi des arènes. Bien entendu, Macky Sall n’était pas candidat face à Khalifa Sall. Toutefois, l’APR – présidée par le Président de la république – est le fer de lance de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) confrontée, dans Dakar, à la liste coiffée par le maire de la capitale. D’où les ondes de choc du succès de l’un et de l’échec de l’autre, qui se propagent au-delà des deux candidats en duel. Les performances électorales du maire (emprisonné) sont d’autant plus appréciables que Khalifa Sall est à la tête d’une dissidence ou d’une révolte socialiste. L‘appareil étant sous le contrôle d’Ousmane Tanor Dieng. Justement, l’autre dissident du PS récemment élargi de prison, (Bamba Fall contaminé par le syndrome Hama Amadou) a balayé trois ministres, de l’espace de la populeuse Médina. Ce maire semi-analphabète, sans caisse noire ni caisse d’avance, a écrasé trois membres ou quatre membres du gouvernement. Message à peine codé et leçon saisissable pour tous : une victoire portée par de maigres chiffres (2750 voix de plus) est inférieure à une gloire enracinée dans les cœurs. Du coup, la profonde question de Napoléon est adressée à Macky Sall : « Que vaut un gouvernement, sans le soutien de l’opinion ? ». L’opinion publique qui est synonyme d’adhésion publique et non d’arithmétique électorale…étriquée. Manifestement, Macky Sall, avec sa double casquette de chef de Parti et chef d’Etat (candidat en 2019), devait se tenir à l’écart de la crise socialo-socialiste, afin de se prémunir contre tout effet électoralement corrosif pour l’APR.

Le talon d’Achille de Touba. En dépit d’un arsenal de séduction et d’une permanente offensive de charme, la ville sainte de Touba reste rétive. Pourtant le chef de l’Etat et son gouvernement ont – pour fasciner ou plaire – lancé trop loin le bouchon, jusqu’aux confins de la gouvernance économiquement aberrante et financièrement absurde, en démarrant le chantier d’une autoroute, Ila Touba, d’essence strictement électoraliste. J’ignore les conditionnalités qui « soubassent » (excusez le néologisme rébarbatif !) le financement de l’ouvrage, mais une pareille et colossale somme, 400 milliards, répartie entre les quatorze régions du pays, aurait creusé une multitude de forages et changé les abris provisoires qui balafrent la carte scolaire du Sénégal. C’est d’autant plus vrai que cette infrastructure politico-spirituelle pèche sur deux points essentiels. D’abord, Elle ne connecte pas les trois Etats voisins et membres de la CEDEAO : les deux Guinée plus le Mali. Ensuite, Elle ne draine pas massivement les pèlerins. Son apparente raison d’être. Car, en effet, les mourides de Casamance, de Tambacounda et de Saint-Louis ne l’empruntent pas, à l’occasion du Grand Magal. Regardez la carte routière ! Tout ça, pour récolter des défaites répétées à Touba, ville toujours sainte et…wadiste ! Enfin, avec la moitié de la somme mobilisée pour Ila Touba, le Sénégal Oriental serait mieux orienté vers l’émergence. Donc moins marginalisé, malgré ses ressources minières. Réécoutez les rouspétances et les récriminations du grand gagnant des élections législatives, à Kédougou, l’ex-ministre Moustapha Guirassy !

Le tombeau des lois. Le Sénégal est-il le Royaume des lois ou l’Empire de la malice ? Question pertinente à l’issue des législatives qui ont, en amont comme en aval, éprouvé nos juges et nos lois. Le Conseil Constitutionnel a trop ferraillé sur le front électoral et trop attiré les projecteurs de l’actualité sur lui. Un phénomène de saturation qui accentue la banalisation et abaisse la vénération, pour une juridiction presque céleste aux yeux de l’homme de la rue. On lui a demandé des avis, à travers des questions qui ont, parfois, leurs réponses dans les lois en vigueur ou parmi les textes de lois disponibles. L’Exécutif et le Législatif ont-ils abdiqué ? A ce rythme, n’est-il pas judicieux d’installer le Président du Conseil Constitutionnel à la tête d’un Conseil de National Régence qui régente toute la vie du pays ? Ainsi, les citoyens iront demander l’avis du Président Pape Oumar Sakho, avant d’aller à la mosquée, à la plage et au bistrot. Toujours au chapitre des lois, l’autre fait effarant de la campagne électorale, est l’audience accordée par le Président de la république, aux habitants de la cité rasée de Tobago. Des citoyens ont allègrement violé la loi qui protège l’emprise foncière et sécurisante de l’aéroport. L’Etat – juridiquement bien conseillé ou bien avisé – et ses gendarmes ont fait le nécessaire. Au nom de quelle considération électoraliste (soif de victoire électorale) doit-on verser des primes et octroyer des terrains aux délinquants fonciers de Tobago ? Autant dissoudre la DESCOS qui n’a plus sa raison d’être. Bonjour l’Etat de droit (incliné) et des lois flasques ! L’avant-veille du scrutin est apparue, ici et là, comme l’hiver des lois. Notamment à Darou-Mousty où la Gendarmerie a nettoyé tous les sites de vente illégale de médicaments volés ou périmés. Moins de 48 heures, avant le vote, tout a été restitué aux vendeurs qui ont violé la loi. A la grande fureur des pharmaciens qui ont grogné vivement. Qui a donné cet ordre aux relents électoralistes ? Mystère épais. La démocratie sénégalaise délite le Sénégal. Comme on le voit, l’arrière-plan d’une élection est plus important et plus instructif que les résultats affichés.


PS : A la lumière des législatives, un aggiornamento est urgent dans l’univers judiciaire. Il y va de la symbiose voire de l’osmose entre la Justice et le Peuple au nom duquel le Droit est dit. Faute de quoi, le citoyen sera convaincu que deux juges vivent au Sénégal : le juge qui connait bien la loi et le juge qui connait bien le Président. Pourtant, Anatole France a bien mis en garde : « Le souci du juge dans son interprétation de la loi, ne doit pas être limité au cas qui lui est soumis, mais s’étendre aux conséquences bonnes ou mauvaises que peut produire sa sentence, au regard de l’intérêt général ». En clair, le juge doit être meilleur que le législateur. Son premier devoir étant d’être juste avant d’être formaliste.

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