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samedi 12 octobre 2024
Le Point ; Sénégal : le gouvernement lève l’interdiction des signes religieux dans les écoles Article de Clémence Cluzel
le gouvernement lève l’interdiction des signes religieux dans les écoles
© Leo Correa/AP/SIPA
Ce lundi 7 octobre, les sonneries des établissements scolaires mettaient fin aux grandes vacances des écoliers sénégalais, qui effectuaient ainsi leur rentrée pour l'année scolaire 2024-2025. Alors qu'un climat tendu flotte dans l'air depuis fin juillet à la suite d'un vif débat sur le port du voile dans les structures scolaires privées, le ministre de l'Éducation nationale, Moustapha Guirassy, profitait de sa tournée de supervision pour tenter de rassurer. De passage au collège de la Cathédrale, un établissement scolaire catholique privé, le ministre est revenu sur l'adoption la veille d'un arrêté afin d'« harmoniser les règlements intérieurs de toutes les écoles du Sénégal » pour respecter les croyances religieuses et maintenir le vivre-ensemble. « Ce n'est pas un arrêté pour créer des problèmes », a-t-il insisté, avant de préciser que celui-ci devait au contraire « anticiper, prévenir, asseoir et garantir la cohésion que nous avons ».
Daté du 6 octobre et rendu public trois jours plus tard, l'arrêté bannit l'interdiction du port de signes religieux, comme le voile, la croix ou les perles sacrées, dans l'enceinte des établissements scolaires, publics et privés, à condition que cela ne nuise pas à l'identification de l'élève. Cette nouvelle réglementation avait été réclamée par le Premier ministre Ousmane Sonko, lors d'une réunion interministérielle du 19 septembre.
Polémique récurrente
Assistant à la remise de prix des meilleurs élèves du Sénégal le 30 juillet dernier, Ousmane Sonko est interrogé par une lauréate voilée sur le port du foulard islamique. « Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays. Nous ne permettrons plus à certaines écoles d'interdire le port du voile », déclare alors le Premier ministre, réclamant également aux écoles françaises privées de ne pas interdire leur accès aux filles voilées afin que tous les élèves puissent bénéficier des mêmes droits. Des propos qui ont aussitôt relancé le débat sur cette question loin d'être nouvelle. « La controverse actuelle rappelle d'autres cas depuis les années 1990 », note Abdoulaye Sounaye, enseignant-chercheur, spécialiste des religions, États et sociétés pour l'Afrique de l'Ouest, citant le dernier cas en date en 2019 où une vingtaine de filles voilées n'avaient pas été acceptées par l'Institut Jeanne-d'Arc à Dakar. Hormis de rares situations, c'est plutôt l'indulgence et la tolérance sur le port du voile qui priment dans les écoles catholiques sénégalaises. « Les interdictions du port de signes religieux ne sont pas inscrites dans les règlements intérieurs de ces établissements. Mais, dans la pratique et la réalité, certaines écoles peuvent se retrouver gênées par la présence de symboles religieux », commente le spécialiste. Au-delà du voile, ces établissements pointent surtout des comportements qui contreviendraient à la cohésion et à l'harmonie dans leur enceinte. « Certaines écoles catholiques ont pointé le voile comme un révélateur du comportement sectaire de certains élèves en disant qu'ils ont aussi des comportements problématiques, comme ne pas partager les mêmes bancs que les élèves de l'autre sexe », développe Cheikh Gueye, secrétaire général du Cadre unitaire de l'islam. Ainsi, pour s'en prémunir, l'arrêté précise que la nouvelle réglementation « ne soustrait pas l'élève à participer aux activités pédagogiques et sportives » et insiste sur la mixité et le respect du vivre-ensemble.
Indignation des catholiques
Les propos d'Ousmane Sonko n'ont pas manqué de faire polémique, particulièrement auprès des catholiques, qui représentent une minorité (moins de 5 % de la population) mais une communauté très active dans le pays. Les établissements catholiques, environ 190 sur le territoire sénégalais allant du périscolaire au post-bac, sont largement fréquentés par des élèves musulmans car très réputés pour leur excellence. Le président lui-même, Bassirou Diomaye Faye, a fréquenté l'un de ces établissements lors de son cursus scolaire. Seuls 28 % des élèves inscrits seraient catholiques. Dans un communiqué daté du 4 août, le Conseil national du laïcat (CNL), qui rassemble des associations et mouvements catholiques du Sénégal, se disait « indigné » par des « déclarations maladroites » de « nature à heurter la sensibilité des Sénégalais, légitimement interpellés par les menaces proférées contre les établissements privés catholiques ». Dans une lettre au ton courroucé, l'abbé Latyr Ndiaye évoquait même des « menaces » et parlait d'une « déclaration de guerre » du Premier ministre.
Face au tollé provoqué, le ministre de l'Éducation tente alors d'éteindre l'incendie, pointant le fait que « Sonko avait été mal compris » et qu'il insistait avant tout sur « l'inclusion scolaire ». Mais le feu repart de plus belle avec la réunion interministérielle du 19 septembre lors de laquelle Ousmane Sonko remet sur la table le règlement de certaines écoles privées, qu'il considère comme « étrangères », et réclame au ministre de l'Éducation nationale un arrêté pour régler définitivement la question. Si, pour Cheikh Gueye, seules les « écoles étrangères, et spécifiquement celles françaises, et non pas les écoles catholiques », sont visées, la perception du CNL est tout autre. L'organisme déplore « la persistance dans l'erreur du chef du gouvernement de considérer les écoles privées catholiques comme des écoles étrangères » et son « acharnement à stigmatiser » son enseignement, écrit son président, Philippe Abraham Birane Tine, dans une note du 21 septembre. « L'Église est républicaine et fonde son action sur la Constitution », répond-il, précisant que les « chrétiens du Sénégal ne sauraient être considérés comme des citoyens de seconde zone ».
« Cela peut être une forme d'expression de l'anti-occidentalisme de certains milieux musulmans, surtout au niveau d'une élite. C'est une critique de certaines valeurs qui sont généralement dites occidentales et qui sont aussi parfois très rapidement associées au christianisme », analyse Abdoulaye Sounaye. Pour M. Gueye, spécialiste de l'islam, la prise de parole du Premier ministre avait pour but de « demander qu'on respecte nos spécificités culturelles et religieuses. Mais certains l'ont surinterprétée comme une critique ou une attaque des chrétiens », dit-il, ajoutant : « Il faut absolument éviter d'importer des problématiques françaises dans notre pays. Ce qui est un peu le cas dans cette polémique. »
Modèle de coexistence et laïcité sénégalaise
Le nouvel arrêté est voulu aussi comme « un rappel sur l'importance du renforcement de la cohésion nationale et de l'acceptation des différences », a souligné le ministre de l'Éducation dans un quotidien sénégalais. Car ces incompréhensions chahutent l'harmonie entre religions si chère aux Sénégalais. Le Sénégal, réputé pour sa coexistence des communautés religieuses, est un modèle de stabilité reposant notamment sur une laïcité bien particulière dans un pays particulièrement religieux (95 % de musulmans). Loin du modèle français, la religion est partie intégrante de la société sénégalaise mais aussi de la politique et joue un rôle majeur, notamment par la voie des confréries musulmanes mais aussi de l'Église catholique, en cas de crise. « Aucun pouvoir au Sénégal ne peut véritablement fonctionner et préserver la cohésion sociale sans s'appuyer sur ce ressort religieux, qui est aussi un ressort de socialisation, un lieu de préservation de la morale et du vivre-ensemble. Même si on dit que notre République est laïque, la pratique de cette République est très corrélée à une interaction entre la sphère religieuse et la sphère étatique », appuie Cheikh Gueye. Tous les régimes politiques successifs ont redéfini, ajusté et pratiqué cette laïcité avec, à chaque fois, « une recherche d'équilibre entre le temporel et le religieux », rappelle M. Sounaye. Le secrétaire général du Cadre de l'islam plaide pour la prévention et l'action en amont, plutôt qu'une gestion de crise. Le Cadre unitaire de l'islam réfléchit ainsi à l'organisation annuelle d'une semaine du vivre-ensemble afin de « rappeler les fondements de ce vivre-ensemble et éviter d'autres crises ».
Souveraineté et agenda politique
Si la polémique sur le port du voile a refait surface dernièrement, c'est aussi en raison d'un contexte particulier, celui de l'arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre, Ousmane Sonko, qui portent un nouveau programme politique basé sur la souveraineté. « L'arrivée au pouvoir de Diomaye a été favorisée par un certain discours qu'on pourrait appeler révolutionnaire, populiste, mais, derrière tout cela, il y a aussi un agenda qui soutient une forme de religiosité particulière avec une certaine idée aussi de la défense de l'islam », avance Abdoulaye Sounaye, qui doute que le précédent régime aurait investi la question du port du voile de cette façon. « Il voudrait affirmer, revendiquer le droit de ne pas être contraint dans sa pratique de la religion. C'est cette intention que je lisais dans la prise de position de Sonko. C'est un clin d'?il à une forme de religiosité qui se sent parfois dominée ou, en tout cas, pas suffisamment reconnue. Pour Sonko, c'est contradictoire, dans un contexte majoritairement musulman, que les musulmans soient confrontés à des restrictions de ce genre. Cette génération a une idée pro-islamique de la laïcité », décortique l'enseignant-chercheur.
Cette évolution est aussi encouragée par l'évolution des familles confrériques et l'émergence de nouveaux courants islamiques qui, bien que minoritaires, ont acquis un poids important. Politiquement, la religion est plus que jamais devenue un outil influent mais s'avère être à double tranchant tant cet aspect est émotionnel et sensible. Le terrain est glissant et le risque d'opposition des groupes religieux peut vite être source de conflits. « On essaie de vendre ce modèle sénégalais de vivre-ensemble dans la sous-région, mais encore faudrait-il qu'on soit en mesure de le maintenir et qu'il soit encore un modèle viable », tacle-t-il.
Il y a peu, le président sénégalais a annoncé la création dès 2025 d'un ministère du Culte chargé des affaires religieuses, une première au Sénégal. « Si les conditions d'inclusion de toutes les religions, y compris celles traditionnelles, sont respectées, cela peut créer un modèle sénégalais qui s'inspire de nos valeurs fondamentales. Sinon, il s'agira uniquement d'un effet d'annonce qui répond à l'agenda de politiciens », avertit Philippe Abraham Birane Tine. Compte tenu d'un contexte sous-régional en crise avec la présence d'un djihadisme menaçant et violent, Abdoulaye Sounaye voit dans cette nouvelle institution un possible moyen de « contrer ou, en tout cas, éviter les évolutions que l'on observe au Mali, au Niger, au Burkina ou même au Nigeria ». « Aucun de ces pays de la sous-région, en particulier là où on a une majorité musulmane, n'est à l'abri de ce type d'évolution. Ce ministère peut permettre de créer ou de réfléchir, en tout cas, à un nouveau mode de gestion de la religion ou des divergences religieuses qui, très souvent, ont constitué plus un problème qu'une opportunité. Je pense que, ne serait-ce que pour cadrer ce dialogue interreligieux et en tirer profit du point de vue de la stabilité politique, un ministère de Culte pourrait être utile », soutient-il.
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