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samedi 19 octobre 2024
« La Noire de… », le film brûlot d’Ousmane Sembène contre la Françafrique, enfin restauré
Article de Eva Sauphie
Considérée comme le premier long-métrage réalisé par un Africain, cette œuvre, qui date de 1966, s’attaquait aux relations entre la France et l’Afrique au lendemain de l’indépendance, à travers le destin tragique d’une jeune Sénégalaise qui vit en exil à Antibes. Elle ressort aujourd’hui en salles.
« Pour mon père, le cinéma était un outil, nettement plus accessible que la littérature, pour faire passer des messages et éduquer les masses. Dans ce film, il s’attaque à des tabous en Afrique, comme le suicide. Et, en même temps, il adopte une approche très critique de la société et de la Françafrique, témoigne Alain Sembène. Il n’a reçu [à l’époque] aucun soutien de la part du Sénégal, car les autorités locales jugeaient que le film était simpliste, qu’il présentait une vision réductrice du pays. »
Portrait d’un Sénégal corrompu
Communiste (il avait fait ses classes à Moscou) et militant syndicaliste, le très politisé Ousmane Sembène dresse en creux le portrait d’un pays qui, six ans à peine après son accession à l’indépendance, est en proie à la corruption. Tourné entre le Sénégal et la France, le film fourmille de scènes qui en témoignent. Comme celle où les invités du couple blanc avouent se sentir tranquilles tant que Senghor est à la tête du Sénégal, ou encore celle où Diouana croise deux députés sénégalais, symboles d’une bureaucratie corrompue, qui sortent de l’Assemblée nationale. « Mon père a tout de suite perçu la relation malsaine qui naissait entre le Sénégal et la France. Il a toujours ressenti une sorte de tension intérieure, comme une urgence à raconter les choses », confie Alain Sembène.
La Noire de... est, aussi, un portrait de femme. Bien que naïve, Diouana rêve d’émancipation et refuse de se soumettre aux ordres du couple qui l’emploie. Et encore moins au comportement à l’intersection du racisme et du sexisme de l’un des convives de ses employeurs, qui l’embrasse sans son consentement. « Je n’ai jamais embrassé une négresse », lance-t-il, hilare.
« Le titre du film est explicite. Diouana n’est pas considérée comme une personne. C’est un objet qui ne s’appartient pas. » Songe-t-elle à retrouver sa dignité humaine dans la mort ? Féministe, intersectionnel, décolonial… Autant de termes qu’on utiliserait volontiers, aujourd’hui, pour qualifier ce film décidément très en avance sur son temps.
La Noire de… d’Ousmane Sembène, en salles en France le 9 octobre 2024.
« La Noire de… », d’Ousmane Sembène, sort dans une version restaurée le 9 octobre 2024.© Les Acacias
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