À l’échelle nationale, de nombreux pays ont adopté des plans de contingentement pour endiguer la propagation du virus.
Mais, le niveau d’impréparation dû à la survenance brutale de la pandémie, à son évolution rapide et à l’ampleur des besoins montre clairement les limites des mesures nationales.
S’y ajoutent les difficultés inhérentes à l’importation des équipements et des produits médicaux et pharmaceutiques nécessaires à la lutte contre le COVID-19, dans un contexte de forte demande et de perturbation du trafic aérien.
Si nous voulons gagner le combat contre le COVID-19, il nous faudra maintenir à niveau les capacités de riposte, notamment :
- disposer en quantité suffisante d’équipements et de matériels médicaux et de protection : kits de test, masques, équipements de protection individuelle ;
- aménager et équiper des centres d’isolement et de traitement des malades ;
- assurer la détection précoce des cas d’infection liée au CODIV-19 au niveau de sites de référence ;
- assurer l’isolement rapide et la prise en charge des cas suspects et confirmés d’infection liée au CODIV-19 ;
- renforcer les mesures de prévention et de contrôle de l’infection ;
- assurer une bonne coordination des interventions.
Il faut dire qu’en dépit des efforts jusque-là consentis, les pays africains n’ont pas encore atteint les normes préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé en infrastructures sanitaires et personnels qualifiés dont la répartition reste encore inégale au détriment des zones rurales.
De façon générale, les besoins de l’Afrique dans le secteur de la santé se posent en ces termes :
- construction, réhabilitation et équipement des structures sanitaires de base et de référence ;
- acquisition d’équipements lourds et de matériels roulants : générateurs d’oxygène, scanners, appareils d’angiographie, ambulances médicalisées, entre autres ;
- formation de ressources humaines en qualité et quantité suffisantes ;
- utilisation optimale des TIC dans le domaine médical (télémédecine et autres applications) ;
- mise en réseau des expertises nationales au sein et entre les pays ;
- création de plateformes régionales pour faciliter le déploiement d’opérations d’urgence, à l’instar de la plateforme de Dakar qui a servi de base aérienne et logistique lors de la crise d’Ebola qui a frappé certains pays de l’Afrique de l’Ouest.
- appui aux initiatives pour la Couverture maladie – ou sanitaire – universelle.
Pour en revenir au COVID-19, il faut rappeler que nous sommes en présence d’une pandémie, c’est-à-dire une épidémie à l’échelle mondiale. Les efforts jusque-là menés au quatre coins de la planète n’ont pas encore permis de découvrir tous les secrets de ce grand inconnu qui a fini de révéler au grand jour les limites de tous les systèmes nationaux, même les plus sophistiqués. Tous les pays, surpris et débordés, se sont retrouvés dans une sorte de sauve qui peut, dévoilant au quotidien les lacunes des uns et des autres.
La première leçon à retenir de cette crise majeure, où l’infiniment petit fait trembler le monde entier, c’est que, devant des menaces transfrontalières, grands ou petits, riches ou pauvres, nous sommes tous vulnérables.
Deuxième leçon, le COVID-19 renvoie au monde ses propres contradictions. Nous vivons, en effet, une ère de paradoxes. La terre est assurément ronde, mais quelque chose, quelque part, ne tourne pas rond. L’homme continue de faire des progrès tous azimuts, reculant chaque jour les limites de la science et de la technologie, y compris dans la conquête de l’espace. Pendant ce temps, sur terre, il manque de masques, de kits de test, d’équipements de protection individuelle, de lits, de respirateurs ; autant de produits, matériels et équipements indispensables à la prise en charge des malades et à la protection des personnels de santé, véritables héros engagés au front d’une lutte risquée et potentiellement mortelle contre un ennemi invisible à l’œil nu. Il est donc temps de revenir sur terre !
Troisième leçon, enfin, et sans être exhaustif, la pandémie de COVID-19, tout comme, du reste, les périls de l’environnement et du terrorisme, confirme les limites objectives de l’État-Nation dans la réponse aux menaces transfrontalières Revenons sur terre et revenons à la sagesse des aînés, comme nous l’y invite notre compatriote Cheikh Hamidou Kane qui, dans son roman à succès, « L’aventure ambiguë », publié il y a 59 ans, énonçait, à la page 92, ce message prémonitoire : « Nous n’avons pas eu le même passé… mais nous aurons le même avenir, rigoureusement… l’heure des destinées singulières est révolue…nul ne peut vivre de la seule préservation de soi. »
C’est dire que quels que soient sa puissance et ses moyens, l’État-Nation ne peut plus se suffire à lui-même. Devant les défis planétaires, nous avons tous besoin les uns des autres, surtout quand nos vulnérabilités communes s’ajoutent à nos fragilités individuelles.
Alors, il est temps d’apprendre de nos erreurs et de nos limites, de redéfinir l’ordre des priorités, de redonner plein sens à l’économie réelle en investissant plus dans l’agriculture, l’énergie durable, les infrastructures, la santé, l’éducation et la formation, pour réaliser un développement soucieux du bien-être de l’homme intégral.
Il est temps de travailler ensemble à l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales.
Il est temps de considérer les questions de santé publique au même titre que la paix, la sécurité, l’environnement, la lutte contre le terrorisme et autres criminalités transfrontalières.
Ce nouvel ordre mondial, que j’appelle de mes vœux, suppose une confiance mutuelle et une volonté sincère de coopérer autour de questions d’intérêt commun et de valeurs partagées, dans le respect de nos différences et de nos diversités.
Il postule surtout un nouvel état d’esprit qui reconnait que toutes les cultures et toutes les civilisations sont d’égale dignité ; et qu’il ne saurait y avoir de centre civilisationnel supérieur qui dicterait aux autres la façon d’être et d’agir. Comme le dit une sagesse africaine, l’arc-en-ciel doit sa beauté aux tons variés de ses couleurs.
Ramené aux questions planétaires de santé publique, ce nouvel ordre mondial devra exclure toute forme de discrimination, de stigmatisation et de préjugés, en particulier envers notre continent.
L’Afrique, berceau de l’humanité et terre de vieille civilisation, n’est pas un no man’s land. Elle ne saurait, non plus, s’offrir comme terre de cobayes. Exit également les scénarios catastrophistes qui s’évertuent à dessiner un futur d’apocalypse pour le continent. Ce continent a subi des épreuves autrement plus périlleuses et plus cruelles.
Il est resté résilient et tient plus que jamais debout !
Ce qui importe aujourd’hui, c’est plutôt de tirer les leçons de la crise et mettre en commun nos moyens et nos intelligences pour faire face, dans un même élan de solidarité humaine, à notre ennemi commun : un tueur silencieux qui se joue des frontières, des idéologies et des différences entre pays développés et en développement.
En dépit de son retard, l’Afrique regorge de ressources humaines de qualité, y compris d’éminents experts, praticiens et chercheurs compétents, qui contribuent au quotidien au progrès de la médecine.
Avec la mise en place du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, qui travaille en relation avec des structures nationales correspondantes et des laboratoires qualifiés comme l’Institut Pasteur de Dakar dont les origines remontent à 1896, le continent dispose d’un réseau scientifique de qualité et connecté au dispositif mondial d’alerte et de gestion de crises sanitaires internationales.
Il faut saluer aussi le leadership de l’Organisation Mondiale de la Santé. Elle réussirait mieux sa mission avec une mobilisation plus conséquente de ressources en sa faveur, un meilleur soutien à son Système d’Alerte et d’Action et un appui plus significatif aux systèmes nationaux de santé publique.
Sur le plan économique, les effets paralysants du COVID-19 se font déjà lourdement sentir au plan mondial. L’Afrique, essentiellement exportatrice de matières premières et importatrice de produits finis et semi-finis, n’est pas en reste.
Les pays développés les plus touchés, à ce jour, par la pandémie achètent pour 51 % des exportations du continent. Les pays membres de l’Union Européenne, à eux seuls, absorbent près de 40 % des exportations africaines.
La baisse des exportations africaines vers ces pays affecterait principalement les hydrocarbures (pétrole et gaz), le cuivre et les produits agricoles.
Pour les importations, outre les produits industriels finis et semi-finis, l’Afrique s’approvisionne à l’étranger en produits de grande consommation comme le blé, le sucre, le riz, l’huile, le lait, etc.
Toute pénurie ou hausse des prix sur ces produits affecterait donc le continent.
En raison des mesures de contingentement liées à la fermeture des frontières aériennes, terrestres et maritimes, les secteurs des transports, du tourisme et de l’hôtellerie sont fortement impactés par le Covid-19. La Commission Économique Africaine évalue ces pertes à 56 milliards de dollars US.
De même, les transferts financiers des migrants connaissent un effondrement drastique.
C’est dire que si l’impact de la crise est mondial, les économies les plus faibles sont les plus affectées. En plus des besoins énormes d’investissement pour le développement, il faudra supporter le choc du COVID-19 et pour certains pays africains, continuer à faire face à une lutte sans répit contre le terrorisme.
D’après les premières estimations de la Commission économique pour l’Afrique, le continent pourrait perdre au moins 1,4 % de croissance (soit 29 milliards de dollars US) et passerait de 3,2 % à environ 1,8 %. Selon nos propres évaluations, celle du Sénégal chutera de 6,8 % à moins de 3 %.
À travers le monde, chaque pays, suivant ses capacités, prend des mesures de soutien à son économie. Différents instruments et mécanismes ont été mis à contribution. À titre d’exemple, l’Union Européenne a suspendu la règle de discipline budgétaire selon laquelle le déficit annuel ne doit pas excéder 3 % du PIB.
Les pays africains se mobilisent également face à la crise. Ainsi, le Sénégal a mis en place un Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES), d’un coût global de 1000 milliards de FCFA, soit environ 2 milliards de dollars US, en vue de lutter contre la pandémie et soutenir les ménages, les entreprises et la diaspora.
Nous avons créé un Fonds de Riposte contre les Effets du COVID-19, FORCE-COVID-19, financé par l’État et des donations volontaires, pour couvrir les dépenses liées à la mise en œuvre du PRES.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La responsabilité première de faire face à la crise nous revient. Nous l’assumons pleinement. Il est tout aussi juste et légitime que nos efforts internes soient soutenus dans le contexte mondial de riposte à la crise. L’Afrique ne doit pas être laissée pour compte dans un combat planétaire contre un péril planétaire. C’est tout le sens de mon appel pour l’annulation de la dette publique africaine et le réaménagement de sa dette privée selon des mécanismes à convenir.
Je me réjouis, enfin, de la position africaine commune adoptée à l’issue de la réunion en visioconférence, du bureau du Sommet de l’Union Africaine élargi à l’Éthiopie, au Sénégal et au Rwanda, le 3 avril 2020.
Ensemble, restons unis et mobilisés, debout et combatifs face au COVID-19 !
Macky SALL Président de la République du Sénégal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire