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samedi 15 octobre 2016

Sékou Touré



Trente deux ans après sa mort : Le mystère se lève enfin sur ce qui a tué Sékou Touré
 
Le 26 mars 1984, Sékou Touré s’éteint à Cleveland aux Etats Unis. Trente deux ans après sa mort, nous vous proposons un témoignage point par point sur les jours qui ont abouti à la disparition du leader guinéen. Lisez !

Le mardi 20 mars 1984, Sékou Touré rentre d’Alger et de Fès ; il y a vainement tenté de rapprocher, au cours de ses conversations avec le président Chadli et le roi Hassan II, les points de vue de l’Algérie et du Maroc sur le Sahara occidental ; il sait désormais que le XXème Sommet de l’OUA prévu à Conakry, dont il ambitionnait de faire la réunion de la réconciliation, risque d’achopper sur cette question.

D’Alger, il est reparti avec une extinction de voix, et a même craint d’avoir été empoisonné.  Du Maroc, il est rentré fatigué. Sa déception est perceptible, mais il espère toujours sauver “son” Sommet en se rendant quelques jours plus tard à Tripoli, puis dans d’autres capitales africaines.

Le mercredi 21 mars, il reçoit des délégations étrangères, des responsables guinéens et de simples militants, comme il a l’habitude de le faire quotidiennement. Le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Mbasogo Obiang Nguema, est son tout dernier visiteur officiel.

Le jeudi 22 mars, au Palais des nations 173, il préside avec son brio habituel la séance de clôture du congrès des syndicats de la CEDEAO ; rappelant qu’il a lui-même commencé à militer dans un syndicat, il affirme qu’il restera “syndicaliste jusqu’à (sa) mort” ; mais cette formule, qui semble aujourd’hui prémonitoire, il l’a déjà employée à maintes reprises.

Vers 17 heures, il regagne son nouveau bureau dans l’enceinte de la cité de l’OUA (il y est installé depuis un mois à peine), mais marche avec plus de difficulté que d’habitude. Sa femme, Hadja Andrée Touré, passe un moment avec lui et lui montre un tissu de bazin avec lequel elle se propose de lui faire confectionner un boubou de cérémonie pour le Sommet de l’OUA ; il répond que ses goûts lui font préférer la percale, tissu plus modeste.

Dans la soirée, comme toujours quand il est seul, il dîne légèrement de miel, de laitages et d’ananas, mais à la fin de ce frugal repas, vers 21 heures, il est pris de malaises et de vomissements. Il se couche sans tarder et se plaint de douleurs qui sont “comme des coups de poignard”. Immédiatement alerté par Madame Andrée, le ministre des affaires étrangères, Abdoulaye Touré, qui est également docteur en médecine, s’affole ; arrivé en hâte auprès de Sékou, il lui administre des calmants et appelle à son chevet des médecins chinois. Ceux-ci l’auscultent avec soin, lui donnent divers médicaments et prescrivent surtout du repos. Ils ne semblent pas avoir diagnostiqué l’accident cardio-vasculaire dont Sékou Touré est en fait victime.

L’un des tout premiers à avoir alerté Sékou et ses proches sur des problèmes cardiaques a été le Docteur Nagib Roger Accar, longtemps ministre de la santé. Dès les années 60, il avait décelé un risque d’anévrisme chaque fois que Sékou parlait fort ou se mettait en colère, et avait à plusieurs reprises conseillé une opération préventive, mais en vain.

Le vendredi 23 mars au réveil, Sékou ne se sent pas assez bien pour recevoir des visites, et annule tous ses engagements de la journée. Béavogui en est informé dès 7 heures du matin. Abdoulaye Touré est à ses côtés et répond aux coups de téléphone.

Le roi du Maroc l’appelle dans la matinée pour parler encore du Sahara occidental ; apprenant le malaise dont Sékou a été victime, il dépêche par avion spécial une équipe de médecins, qui arrivent dans la soirée. Informé par eux que l’état de Sékou est réellement très sérieux et qu’il s’agit d’un problème cardiaque, Hassan II alerte encore dans la nuit un hôpital spécialisé de Cleveland (Etat de l’Ohio) aux Etats-Unis, sur le lac Erié, où plusieurs chefs d’Etat (notamment la famille royale saoudienne) se font régulièrement soigner.

Le secret reste cependant bien gardé : trois ministres qui assistent le soir même à une réception à l’ambassade de France, Abdoulaye Touré, Mamadi Keita et Sénainon Béhanzin, ne font aucune allusion à cette indisposition du chef de l’Etat. Il n’est même pas certain que tous les ministres en aient été informés.
Entre temps, Sékou a été discrètement transporté dans l’une des villas de Belle-Vue.

 Les cardiologues américains, munis d’appareils sophistiqués de contrôle, arrivent à Conakry le samedi 24. Leur diagnostic tombe très vite : anévrisme de l’aorte ; une intervention chirurgicale rapide est impérative. Hassan II prévient le roi Fahd d’Arabie saoudite, lequel envoie un avion médical saoudien ultra-perfectionné (affrété semble-t-il par la compagnie pétrolière ARAMCO) qui se pose à Conakry dans la matinée du dimanche 25. Il faudrait partir le plus rapidement possible, chaque heure qui passe rend désormais plus grand le risque opératoire et plus aléatoires les chances de succès.

Mais Sékou Touré est très réticent à l’idée de quitter la Guinée. C’est Madame Andrée qui finira par le convaincre, et le dimanche 25 en fin de journée, le Boeing 707 saoudien médicalisé s’envole vers les Etats-Unis ; Sékou a pu monter à bord sans aide et saluer les membres du BPN et du gouvernement venu lui souhaiter bonne chance. Madame Andrée, leur fils Mohamed, sa fille Aminata, le ministre Abdoulaye Touré, Ben Daouda Touré, chef du protocole, et l’aide de camp Kalagban Camara se trouvent à ses côtés.

 Avant de partir, Sékou a tenu à faire une brève halte dans son bureau ; il en fait ensuite soigneusement fermer la porte, de même que ses armoires fortes, et en confie les clefs à un homme de confiance, le commandant Keita. A bord de l’avion, Sékou Touré, allongé, dicte à Abdoulaye Touré une sorte de testament.

En raison du décalage horaire, c’est encore dans la soirée de dimanche que l’avion se pose à Cleveland. L’ambassadeur de Guinée à Washington, Thierno Habib Diallo, son collègue accrédité à Ottawa, ainsi que N’Faly Sangaré, qui participait à Washington à une réunion du Fonds Monétaire International, rejoignent Sékou dans sa chambre à l’hôpital. Ismaël Touré, qui se trouvait en mission à Paris et en Suisse, en fait de même dans la nuit. 

Stokeley Carmichaël, l’ancien leader du mouvement des Black Panthers — un temps marié à Myriam Makeba et familier de Conakry — vient prendre des nouvelles. La famille loge dans un hôtel proche, face à l’hôpital.

Le lundi 26 mars au matin, Sékou prend en famille son petit déjeuner ; Madame Andrée lui refuse la cigarette qu’il souhaite fumer. Puis Sékou téléphone à Béavogui ; il est assez détendu, anxieux toutefois à l’idée d’une opération, car, dit-il :

— Je ne veux pas être opéré aujourd’hui ; ce jour n ‘est pas un bon jour pour moi.

Il ajoute :

— D’ailleurs, je veux rentrer à la maison. J’ai un grand voyage important à faire.

Les examens approfondis auxquels les spécialistes américains procèdent montrent l’existence d’une dissection étendue de l’aorte avec une double fissure, ce qui exige une intervention chirurgicale immédiate. Mais le chirurgien se veut rassurant : l’opération a normalement 99% de chances de réussite ; il faudra au patient trois semaines de repos complet ; il pourra ensuite revenir à Conakry.

Madame Andrée, qui dira plus tard qu’elle pensait que Sékou savait qu’il ne survivrait pas, échange encore quelques propos avec lui ; à ses paroles d’encouragement et d’espoir, il se borne à répondre d’une voix sourde :
— Amen.

Son fils Mohamed l’accompagne jusqu’à l’entrée du bloc opératoire ; ils échangent quelques mots sur la campagne agricole et sur la guerre Irak-Iran, deux sujets qui le préoccupent beaucoup. Au chirurgien américain qui se veut rassurant, il se borne à dire :

— L’homme propose, Dieu dispose. 

C’est au cours de l’opération, commencée vers midi et qui dure près de quatre heures, que le cœur lâche ; tous les efforts des chirurgiens pour arrêter les hémorragies et ramener Sékou à la vie sont vains. Les vaisseaux sanguins, durcis par l’âge et l’usage du tabac, ne se prêtent pas aux manipulations chirurgicales indispensables. II est 15 heures 23 minutes à Cleveland, 22 heures 23 à Conakry, ce lundi 26 mars 1984. Les proches sont immédiatement avertis à l’hôtel où ils attendaient des nouvelles.

Avant minuit, heure de Conakry, Lansana Béavogui est informé du décès par un coup de téléphone de Mohamed. Il convoque immédiatement une réunion du Bureau Politique National et du gouvernement ; tous les membres présents à Conakry 187 se retrouvent, consternés, à 2 heures du matin.

 Le BPN rend public dans la matinée du mardi (alors que l’événement a déjà été diffusé depuis plusieurs heures par l’Agence France-Presse) un communiqué annonçant la “tragique nouvelle” et proclamant un deuil national de quarante jours.

Un peu plus tard, le BPN avise la population que le corps de Sékou Touré arrivera le lendemain 28 mars à 10 heures à l’aéroport de Conakry-Gbessia, et l’informe du déroulement des cérémonies. En une demi-heure, entre 13 heures 30 et 14 heures, ce même 27 mars, le BPN se réunit dans la salle du conseil de gouvernement et, constatant officiellement la vacance du pouvoir, décide de confier jusqu’à l’élection d’un nouveau président la direction des affaires de l’Etat au Premier ministre, qui prend le titre de Chef du gouvernement, respectant ainsi à la fois la Constitution  et la volonté expresse du défunt. Il ne semble pas qu’il y ait eu à ce moment là la moindre contestation.

Comme prévu, l’avion qui ramène en Guinée le cercueil de Sékou se pose sur la piste de l’aéroport de Gbessia le 28 mars au matin, accueilli par 101 coups de canon. A aucun moment jusqu’à l’inhumation, le cercueil ne sera ouvert ; le visage du mort ne sera pas montré, même aux plus proches, entraînant par la suite toutes sortes de spéculations.

Le corps avait été embaumé au lendemain du décès à Cleveland, par les soins de spécialistes de la communauté musulmane de cette ville. A Conakry, les Oulémas marocains avaient procédé encore à une dernière toilette du mort.

D’après certains, le corps de Sékou serait resté dans l’avion saoudien qui repartit peu après son atterrissage à Conakry, et aurait été en réalité transporté ensuite, soit au Maroc, soit en Arabie saoudite (ce que confirmerait le fait, effectivement très exceptionnel, que des prières soient régulièrement dites pour le défunt à Médine et à La Mecque). Craignant la profanation, Sékou Touré l’aurait exigé dans son testament.

Peu après l’inhumation dans le Mausolée, vers minuit, peut-être pour couper court aux rumeurs, le colonel Lansana Conté, qui n’est encore qu’à la tête de l’armée, fait boucler tout le quartier par la troupe, mais lui-même quitte la capitale pour se rendre à Dubréka ; on ne sait ce qui se passe pendant quelques heures autour du Mausolée, que personne d’extérieur ne peut approcher.

Quelques jours plus tard, le nouveau Premier ministre de la Deuxième République Diarra Traoré affirme à Abidjan que le cercueil ne contenait que “des papiers, des objets en plastique, mais pas le corps du bonhomme”.

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