Référendum Constitutionnel Du 20 Mars, Mode D’emploi
Les Sénégalais sont appelés à se prononcer par référendum, le 20
mars, pour ou contre le projet de révision constitutionnelle proposé par
le président Macky Sall. Quels sont les principaux changements
introduits par ce nouveau texte ?
Le référendum du 20 mars tient
en quinze mesures qui, selon Macky Sall et ses alliés, permettront de «
consolider » et de « moderniser » la démocratie sénégalaise. Mais le
chef de l’État est largement critiqué pour ne pas avoir tenu sa promesse
de réduire son mandat en cours de sept à cinq ans – un revirement sur
lequel se basent des organisations de la société civile, comme Y’en a
marre, et l’opposition pour appeler à voter « non » au projet de
révision constitutionnelle. Le président met désormais l’accent sur la
teneur des mesures soumises au vote des Sénégalais pour susciter leur
adhésion. Jeune Afrique en décrypte les quinze dispositions.
POUVOIR DE L’ASSEMBLEE NATIONALE ET DE L’OPPOSITION
C’est
probablement le chapitre le plus paradoxal de la révision
constitutionnelle. Le pouvoir exécutif entend promouvoir « le
renforcement des droits de l’opposition et de son chef », mais
l’opposition, elle, n’en a cure. Le Parti démocratique sénégalais (PDS),
Rewmi et AJ-PADS, les trois principaux partis de l’opposition,
appelleront donc à voter contre le référendum. En effet, nombre de
leaders et militants du PDS ont été incarcérés depuis 2012, et le groupe
parlementaire de l’opposition, réunissant les trois mouvements, n’a pas
été homologué par le bureau de l’Assemblée nationale depuis la rentrée
parlementaire de septembre. Sidy Cissé, consultant et enseignant ayant
fait partie de la Commission nationale pour la réforme des institutions
(CNRI), instituée par Macky Sall en 2013, considère que « les
propositions sont insuffisantes, car les droits de l’opposition sont
déjà reconnus dans le préambule de la Constitution ». Il souhaiterait en
outre connaître le détail des éventuelles innovations qui seront fixées
ultérieurement par la loi.
Quant à « la modernisation du rôle des
partis politiques dans le système démocratique », le problème ne porte
pas tant sur le principe – consensuel – que sur l’opacité de la mesure. «
Je n’ai pas bien compris », reconnaît Sidy Cissé, qui rappelle que la
CNRI avait proposé la création d’une Agence de régulation de la
démocratie, dans un pays qui croule déjà sous la prolifération de partis
microscopiques. En revanche, l’ancien membre de la CNRI se réjouit de «
l’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de
contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques
publiques ». Une mesure de nature à tempérer une hypertrophie exécutive
que l’opposition, fût-elle adepte du « non », est la première à
dénoncer.
PREROGATIVES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Pas moins
de quatre mesures, sur les quinze proposées, concernent le renforcement
des compétences et de l’indépendance du Conseil constitutionnel. La
moins novatrice porte sur « la soumission au Conseil constitutionnel des
lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur
promulgation ». Comme le fait remarquer Babacar Guèye, professeur de
droit public à l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, « cette
disposition avait été supprimée par Abdoulaye Wade en 2001, il s’agit
donc uniquement de la remettre en vigueur ».
Concernant
l’indépendance de la haute juridiction, Babacar Guèye considère que « la
proposition par le président de l’Assemblée nationale de 2 des 7
membres du Conseil constitutionnel » est une innovation « appréciable ».
« Jusque-là, les sages étaient nommés de manière discrétionnaire par le
seul président de la République ; désormais, le président de
l’Assemblée proposera quatre noms au chef de l’État, qui en retiendra
deux ». L’universitaire relève tout de même que « d’autres pays
africains vont plus loin en la matière », comme le Togo, le Mali ou le
Bénin, où trois autorités distinctes se répartissent la nomination des
membres du Conseil.
Selon Babacar Guèye, l’avancée la plus «
incontestable » est « l’élargissement des compétences du Conseil
constitutionnel pour donner des avis et connaître des exceptions
d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel ». Une
possibilité pour les citoyens sénégalais de soulever
l’inconstitutionnalité d’une loi à la faveur d’une procédure judiciaire,
comme cela se pratique déjà au Bénin, au Niger ou au Gabon. Ces
nouvelles prérogatives étant de nature à accroître de manière
substantielle le nombre de recours soumis au Conseil constitutionnel, le
projet de référendum prévoit également « l’augmentation du nombre des
membres du Conseil constitutionnel de 5 à 7 ».
DROITS ET DEVOIRS DU CITOYEN
Le
projet de révision constitutionnelle propose d’inscrire de nouveaux
droits et devoirs du citoyen dans la loi fondamentale. Les articles
concernés indiquent notamment que « les ressources naturelles
appartiennent au peuple et sont utilisées pour l’amélioration de ses
conditions de vie », que « l’État et les collectivités territoriales ont
l’obligation de veiller à la préservation du patrimoine foncier », et
que « chacun a le droit à un environnement sain ». « Ce droit à
l’environnement sain est déjà présent dans plusieurs lois, explique
Haïdar El-Ali, ancien ministre de l’Écologie de Macky Sall. En revanche,
l’inscription du devoir de protection des ressources naturelles et de
l’environnement par le citoyen est une véritable innovation. Cela
signifie que la Constitution protège désormais ceux qui s’engagent dans
la défense de l’environnement. »
Cette réforme constitutionnelle
introduit également le droit, pour les Sénégalais de l’étranger, d’être
représentés par des députés dédiés à l’Assemblée nationale. Une
disposition qui sera probablement appréciée par les dizaines de milliers
de ressortissants de la diaspora. Enfin, la modification
constitutionnelle garantit désormais aux candidats indépendants de
pouvoir participer à toutes les élections.
EVOLUTION DES INSTITUTIONS
La
principale mesure institutionnelle de ce projet de révision
constitutionnelle est la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq
ans à partir de 2019. Selon le nouveau texte, nul ne peut exercer plus
de deux mandats consécutifs. Une limite d’âge est également fixée à 75
ans pour toute personne souhaitant se présenter à l’élection
présidentielle (alors que la Constitution actuelle n’établit qu’un âge
minimum de 35 ans).
Au-delà de la promesse, non-tenue, de Macky
Sall sur la réduction de son mandat en cours, les détracteurs du
référendum dénoncent l’intangibilité des dispositions relatives au mode
d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du président
de la République. Si la nouvelle Constitution est adoptée le 20 mars,
ces dispositions ne pourront plus être révisées. « De quel droit
pose-t-on ainsi un verrou définitif sur les choix des générations
futures ? C’est une insulte à leur intelligence et à leur capacité
d’innover », dénonce Amadou Tidiane Wone, un ancien ministre d’Abdoulaye
Wade qui milite aujourd’hui contre cette mesure. Pour d’autres, en
revanche, la question mérite d’être posée. Car depuis 1960, la durée du
mandat présidentiel a déjà fait l’objet de cinq modifications
constitutionnelles. Soit quasiment une modification tous les dix ans. «
Cette notion d’intangibilité est une fausse solution à un vrai problème,
plus profond : le manque de maturité des dirigeants politiques »,
balaie Amadou Tidiane Wone.
La révision constitutionnelle qui sera
soumise au vote le 20 mars prévoit enfin la création d’une nouvelle
institution, le Haut-Conseil des collectivités territoriales. Présenté
par les autorités comme un organe de promotion de la décentralisation,
de la gouvernance locale et du développement territorial, il s’agira
d’une assemblée consultative dont la composition et le fonctionnement
seront fixées ultérieurement par une loi organique… si le référendum est
adopté.
Jeune Afrique
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